Gustave Flaubert (1821-1880)
Le langage du corps
Retrouvez en vitrine notre sélection de livres chez cet éditeur.
Je suis né dans un monde qui commençait à ne plus vouloir entendre parler de la mort, et qui est aujourd'hui parvenu à, ses fins, sans comprendre qu'il s'est du coup condamné à ne plus entendre parler de la grâce.
L'unique roman du poète Armand Robin est en même temps une épopée. C'est la lutte pour la vie menée par les paysans de Bretagne. Dans une atmosphère de misère s'affrontent, sans cesse, des personnages que l'angoisse étouffe.
L'énigme de l'oeuvre d'Henri Thomas (comme celle de sa singulière personnalité) tient un peu dans cette note, empruntée au présent livre : " Quelqu'un rêve que je suis vivant.
Quand il cessera de rêver - quand il s'éveillera - je mourrai. " Elle tient dans une heureuse confusion entre le rêve et la réalité, entre la conscience de soi et la perception de l'autre. Ainsi se produit - à vue, dans ce carnet - une sorte d'échange chimique (troublant car il nous concerne très exactement en même temps qu'il est tout particulier à l'auteur) entre l'écriture et la conversation, entre la pensée et l'anecdote, entre le souvenir et l'invention.
" Je n'ai que des assurances de sauvage, d'artiste réveillé par des sensations très anciennes subitement découvertes. " La lumière appelée lire, la lumière appelée écrire. "
« Depuis quarante ans sa voix me parle. Son nom a été donné à des collèges, des lycées, des rues, des résidences, des centres culturels, mais on ne sait pas grand chose de lui.
C'est une voix unique, comme Shakespeare ou Rabelais. Un petit étudiant du temps de Charles VII, qui vire mauvais garçon, mais qui a le don de langue, très haut, si haut que sa voix traverse six siècles. Il parle de l'amour, de la mort évidemment (il échappe quelques fois à la corde des pendus), des riches et des pauvres, du corps féminin, avec la musique du rire et de la rébellion... » ( M. A.).
Voici quatre ans que Michel Arbatz se produit, en compagnie d'Olivier-Roman Garcia, dans le spectacle Villon la vie, largement extrait du Testament Villon. L'aventure remonte à plus loin : ce fut d'abord un long travail d'adaptation de ce texte, à partir de l'original en moyen français vers une langue plus contemporaine, soucieuce d'en respecter la musique si originale.
Ensuite sont venus la mise en musique de larges extraits, les arrangements, puis la conception d'un montage, enfin, le travail de la scène. À l'issue des presque soixante représentations données en France, nombreux sont ceux qui ont demandé le texte du spectacle, c'est-à-dire aussi bien le texte de François Villon que son adaptation, ainsi que l'enregistrement de ce parcours théâtral et musical.
Nous proposons donc un livre relié, qui met vis à vis le texte original et l'adaptation de Michel Arbatz, incluant le CD d'environ une heure dix (un peu plus de la moitié des 2 000 vers du Testament, une quinzaine de ballades chantées) avec de prestigieux invités - parmi lesquels Jean-Louis Trintignant qui en dit le prologue.
Bien que Villon ait déjà eu de nombreux interprètes, c'est néanmoins la première fois qu'un tel pari est tenté.
C'est à Tanger que Samuel Beckett (1906-1989) a passé la plupart des étés de sa vie, à partir de 1973. Et cette lettre qui lui est adressée peut se lire comme une invitation à arpenter librement les territoires mentaux d'un écrivain dont l'oeuvre tout entière questionne la condition humaine, dans une ville où s'affronte la permanence du mythe et l'envers de la réalité.
C'est le sens de cette promenade, d'où naît une réflexion à bâtons rompus mêlant au parcours de l'homme son oeuvre de créateur, et son engagement de résistant.
De l'hypothétique rencontre de Beckett avec un vieux Marocain nommé Moussa émerge ainsi, en miroir, un questionnement sur la place de l'individu, le rapport au langage, et le rapport au corps, qui fondent notre humanité, mais aussi le sens des libertés individuelles, de part et d'autre de la Méditerranée, entre un Occident menacé de déshumanisation, et des pays où le statut de l'individu demeure à construire...
Un homme vieillit par à-coups et reculs à travers la France, et l'ombre rieuse de sa soeur le poursuit dans ses retranchements multiples.
Qu'a-t-il fait d'elle, de quelle transgression a-t-il payé le prix en prison ? Le temps se marche sur les pieds alors qu'il fouille sa mémoire et qu'il trahit les autres femmes. Les bonheurs de lire Pirotte renaissent en nombre avec ce roman car Fond de cale est un concentré haut en voltige de tout ce qui nous enchante chez lui : le mélange des gens (avec pour tous la même tendresse lucide) et des genres, la fascination pour la dérive et les berges de la folie, le halètement de la cavale et des magistrales saouleries qui ne parviennent pas à calmer l'âme...
Et son style tout de douceur grinçante " qui confond et marie les arômes de vie et de mort ".
L'auteur nous a subjugués, envoûtés, et, au vrai, je le dis sans goût pour les paradoxes faciles, c'est peu de huit cents pages pour parvenir à un tel résultat. D'autres n'y seraient pas parvenus en trois mille, et beaucoup par leur oeuvre entier. Jean Douassot a découvert une planète que nous pensions connaître : le monde du sexe et de l'organique, ou le monde réduit à ses soubassements sexuels et organiques, alors que nous en ignorions la mystérieuse topographie.
Pour dresser celle-ci il fallait sans doute un géographe, il fallait surtout un poète pour conduire le géographe. L'auteur s'est laissé mener par l'enfant qu'il a sans doute été et c'est pourquoi La Gana baigne tout entière dans cette poésie cruelle et violente qui est celle de l'enfance aux prises avec des mystères trop grands pour elle. Cette poésie transforme le sordide en objet d'art. Elle permet de substituer au dégoût ou à l'apitoiement facile la révolte. Elle entraîne un ouvrage qui aurait pu n'être que remarquable, et en marge, dans les grandes eaux d'une littérature qui aide à vivre.
Maurice Nadeau.
Voici sans doute la meilleure façon d'entrer dans l'univers singulier d'Abraham : des récits brefs, qu'on peut lire d'un coup, où s'impose sans délai la clarté de l'évidence. Si l'un de ces textes, le plus récent, donne son titre à l'ensemble, n'est-ce pas d'ailleurs pour suggérer que tout instant, tout lieu - faubourg venteux, îlot désert, vieux canot, champ de foin - peut accéder au statut de " place royale " par la grâce de l'écriture ?
Les poèmes de ce volume ont été écrits entre 1917 et 1923 - date du départ de Fundoianu pour la France, à l'âge de 24 ans - et publiés de 1920 à 1930 dans différentes revues rou- maines. C'est donc de Paris que le poète compose son recueil, en effectuant un choix parmi de nombreux textes. On trouve dans Poèmes d'autrefois (Le temps qu'il fait, 2010) un certain nombre de « paysages » d'inspiration similaire.
Cette poésie n'est traditionnelle qu'en apparence ; les paysages, où la nature semble toute-puissante, sont minés de l'intérieur par une mélancolie, un désenchantement qui ne s'affirmeront pleinement que plus tard, dans les oeuvres à venir. Dans la singulière introduction que Fondane donne en 1929 au recueil de Fundoianu, le poète explique :
« En ce temps-là, j'étais nu et ne me savais pas nu » ; la poésie a révélé son impuissance à concurrencer le monde réel, ses laideurs et ses turpitudes. Mais il poursuit cependant :
« La poésie n'est pas une fonction sociale mais une force obscure qui précède l'homme et qui le suit. » Dans les vers de Fundoianu, que le Fondane de 1929 semble renier, percent les accents si justes et profondément humains du Mal des fantômes.
Cette histoire, pleine de chansons et de joyeuses agapes, de livres et d'espoirs de justice sociale, débordante d'amour et d'amitié, est comme le rêve d'une vie bonne, vécue entre égaux généreux. Elle est l'utopie douce-amère d'une fraternité libertaire, réalisée aujourd'hui dans une ville portuaire de l'Ouest de la France - peut-être pas si irréaliste ou naïve qu'il y paraît.
Ce texte est la longue lettre d'adieu d'un homme parvenu aux portes de la vieillesse à sa mère disparue près d'un demi-siècle plus tôt.
Veuve de guerre « blessée pour la vie », elle a donné à son fils le prénom de son cher époux ( « Quels liens singuliers s'étaient noués entre nous après la mort du père ! » ). Bourgeoise éduquée et bienveillante, elle élève ses enfants avec dévouement, entre le jardin merveilleux de la grande maison à la campagne et le triste appartement lyonnais - et voue un amour viscéral, excessif, étouffant à celui-là, la chair de sa chair, qui pourtant, aux pires moments de jalousie même, ne lui en tient nullement rancune. Car il n'a pas cessé de croire, depuis la petite enfance jusqu'à la mort de cette figure vénérée aux premiers jours de la seconde guerre, qu'il est un « double minuscule de sa personne ». Ce portrait plein de tendresse filiale, cet hommage délicat renoue avec des motifs chers à l'auteur de La terre et la guerre, des mouettes sur la Saône et surtout d'Élisa. Récit intime d'une vie sans éclat, il est également un témoignage ému sur un milieu et une époque à jamais disparus.
« Dans l'infinité des sons qui constituent une large part de notre expérience sensorielle et sensible : la voix.
La première que nous percevons n'est-elle pas, in utero, celle de notre mère ? Première expérience sonore, première perception du bruit du monde et d'une altérité. Voix première entendue, écoutée. Tatouée en nous à jamais.
D'autres nous parviennent ensuite. Innombrables. Confuses, précises, proches, lointaines, aimées, redoutées, rassurantes, hostiles. Voix fugitives, entr'entendues, ou présentes à jamais. Voix d'enfance, voix rêvées aussi. Instant ou persistance. Offrande furtive d'une rencontre entre le monde et nous, trace d'une intersection entre autrui et nous-même.
Difficile d'exister sans voix. Qui ne dit mot consent. À tout, au pire, à l'inacceptable. Le silence nous fait victime, ou complice. Notre voix, invisible, impalpable. Signe de présence au monde, signe d'un possible vers autrui. »
L'auteur de La Gana renoue ici avec son personnage au point où il l'avait laissé à la fin de son premier roman. Il sort de l'enfance, on l'envoie à l'usine, il nous raconte sa fuite effarante devant les Allemands, ces «coupeurs de paluches», sur les routes de juin 40. Nous retrouvons dans La perruque la cave des gardiens d'immeuble misérables et sa plaque d'égout, les rats, l'escalier malodorant, le terrain vague voisin, le quartier sordide avec ses putes, ses cloches, ses gamins fiévreux, ses ivrognes.
Et toujours la même constellation familiale autour de l'enfant qui monte en graine, maigre, tendre et méchant, fou du besoin d'autre chose, et le cherchant avec acharnement dans le sexe, dans le vin et le vol, dans l'ordure et l'imprécation, dans d'impossibles rêves de fuite... Comme tous les «hommes de la famille», dont il se sent secrètement solidaire, l'adolescent se trouve coincé jusqu'à l'asphyxie dans l'univers des pauvres.
Dans cet effrayant récit d'un apprentissage au coeur d'un univers clos sans espoir, l'auteur avance avec sa musique à lui, boiteuse, sauvage, aride. Il va au-devant de l'horreur comme pour l'exorciser par son excès même, comme si écrire restait encore le seul moyen peut-être de «changer la vie».
Dans une sorte de journal de ses pensées, un homme qui n'est plus jeune essaie de se représenter ce que c'est, d'être vieux. Ou plutôt de vivre cette situation de l'intérieur, tout en restant lui-même, en gardant l'âge qu'il a effectivement, quand il écrit, et en restant l'enfant étonné et cruel qu'on ne peut cesser d'être. Pour une part, il s'agit pour lui d'ima- giner, de spéculer ; pour une autre, de décrire ce qui lui apparaît des vieillards qu'il voit, qu'il fréquente, qu'il aime - et de lui-même. Dégradations physiques, lenteur nouvelle, défaillances dans l'activité mentale, désoccupation, obscurcissement : autant d'occasions paradoxales d'y voir plus clair, de regarder l'obscurité même. Pourtant, le livre ne pen- che pas du côté du vieillissement : il cherche à maintenir en service une « navette », selon l'expression de l'auteur, un aller et retour permanent entre le grand âge, et les autres âges de la vie. Nouvelle façon d'explorer, sans l'atténuer, la différence qui sépare les hommes les uns des autres, les sépare d'eux-mêmes au cours de leur vie, et donc finalement les constitue.
"Cette pointe n'est pas une invention d'archéologue. Elle a été trouvée par Céline, ma voisine, dans l'herbe où elle faisait courir son chien. De quel musée provient-elle, de quelle collection ? Avec la cote, B11, inscrite sur la pierre. Si ce n'est pas le fossile directeur dont je rêvais, l'objet facilement identifiable qui permettrait d'assurer une datation précise du contexte dans lequel il a été mis au jour, qu'est-ce que c'est ? Une énigme, et il y en aura d'autres.
Qui vous fourniront des indices, vous guideront dans votre fouille, vous mettront sur la piste de votre nouveau collègue. Occupé à récolter les dernières preuves, il s'est laissé surprendre, et la Médiathèque est devenue grâce à lui un vrai escape game".
De sa dix-neuvième à sa vingt-quatrième année, en un temps d'apprentissage, Jean- Pierre Otte écrivit bon nombre de poèmes et de courts récits. Comme s'il convenait d'abord de s'exercer, de pratiquer des sortes d'exorcismes, et de subir des influences pour progressivement s'en affranchir. Comme il le dit dans Entrée en écriture : « il s'agissait d'exprimer à chaque fois un univers devenu familier tout en laissant aux mots la liberté d'ourdir leurs propres images insolites et d'exprimer ainsi la saveur de ce qui, quoi qu'on fasse, nous reste insaisissable.» Beaucoup de ces poèmes furent détruits, l'écrivain en herbe les considérant, peut-être à tort, comme des « copeaux d'atelier ». D'autres, dispersés, furent publiés en diverses revues et un autre demeura inédit. Ce sont ces textes que l'auteur a réunis ici, les prémices étonnamment matures de l'oeuvre à venir.
« Mais c'est tout éveillé qu'il nous faudrait craquer comme la graine crie et se fend, jaillir au-dessus des insectes, des épis, des grands arbres, des grands rocs, des grands nuages oublieux, de la nuit froide et creuse sous qui les astres pendent, enfoncer la croûte du ciel et marcher dans les chemins où nous rencontrerons nos fruits. » L'Apprentissage de la ville reprend en 1942 la confession entamée sept ans plus tôt avec Le Bonheur des tristes. Au-delà de l'amertume et du sarcasme qui le caractérisent, ce «roman» comporte une profonde valeur de témoignage, dénonçant l'aveuglement et la veulerie de la société chavirée au sortir de la guerre, incapable de s'éveiller et de regar- der dans son propre tumulte. « La sincérité d'un aveu ne vaut que s'il en coûte à celui qui avoue. Ce livre force les profondeurs et les recoins les plus difficiles de l'aveu et constitue un document humain d'inestimable prix », écrit à son propos Lanza del Vasto.
Pour préparer un film de fiction (En compagnie d'Antonin Artaud), adapté du journal de Jacques Prevel, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur ont rendu visite aux amis d'Antonin Artaud (1896-1948), ont retrouvé un à un ceux qui, jusqu'alors, s'étaient abstenus de parler de lui. De ces visites, et de façon tout-à-fait inattendue, est né un film documentaire : La véritable histoire d'Artaud le Mômo (1993). Ce document fait revivre Antonin Artaud dans les paroles de Paule Thévenin, Marthe Robert, Henri Thomas, Henri Pichette, Rolande Prevel, Alain Gheerbrant, André Berne-Joffroy, Alfred Kern, Jany de Ruy, etc. D'abord dif- fusé sur Arte (1994), il est ici proposé dans une version restaurée.
Le livre offre une transcription des propos qui composent ainsi le portrait du poète, réputé fou et dépendant de la drogue, dans sa complexité et son génie. Un texte de chacun des deux auteurs complète, à distance et dans l'admiration, cette mosaïque. Il s'y ajoute enfin un ensemble de photographies de ces figures, réalisées en cours de tournage par Mordillat et le chef-opérateur François Catonné - ainsi qu'une série de portraits d'Artaud saisis à la toute fin de sa vie par Georges Pastier.
Plus qu'un hommage, c'est bien d'une célébration qu'il s'agit. Car André Hardellet (1911-1974) est, pour l'auteur, un phare, un saint patron, un modèle et, plus que tout, un ami. Petit maître pour les uns, écrivain modeste pour d'autres, ce promeneur mélancolique a marqué pour toujours ses amateurs par sa "prose ouverte, savante, mais aussi sensuelle, subtile, rigolarde et populaire. Sa prose inquiète et visionnaire, dotée du petit matériel indispensable de l'humour en ruine".
Patrick Cloux, en chef de file de la société (secrète et fraternelle) de ses lecteurs, entend faire découvrir son oeuvre providen- tielle et paradoxalement cachée, et lui rallier quelques inconditionnels supplémentaires. "Donnez-moi le temps" implorait un titre d'Hardellet ! C'est ce que fait ici, sans réserve, le bel essai d'un admirateur enthousiaste et reconnaissant.