Gustave Flaubert (1821-1880)
Le langage du corps
A l'occasion de la publication de son dernier roman, Les sources (éditions Buchet Chastel), aperçu de l'oeuvre de Marie-Hélène Lafon, et de quelques uns de ses coups de coeur.
La cour est vide. La maison est fermée. Claire sait où est la clef, sous une ardoise, derrière l'érable, mais elle n'entre pas dans la maison. Elle n'y entrera plus. Elle serait venue même sous la pluie, même si l'après-midi avait été battue de vent froid et mouillé comme c'est parfois le cas aux approches de la Toussaint, mais elle a de la chance ; elle pense exactement ça, qu'elle a de la chance avec la lumière d'octobre, la cour de la maison, l'érable, la balançoire, et le feulement de la Santoire qui monte jusqu'à elle dans l'air chaud et bleu.
Années 1960. Isabelle, Claire et Gilles vivent dans la vallée de la Santoire, avec la mère et le père. La ferme est isolée de tous.
Le fils, c'est André. Le père, c'est l'Absent. La mère, c'est Gabrielle. Mais André est élevé par Hélène, la soeur de Gabrielle, et son mari. Il grandit au milieu de ses cousines.
Chaque été, il retrouve sa mère biologique qui vient passer ses vacances en famille.
De Saint-Céré dans le Lot en passant par Chanterelle et Aurillac jusqu'à Paris, Marie-Hélène Lafon nous transporte à nouveau au coeur d'une famille. Elle décrypte aussi bien ses bonheurs ordinaires que le poids du manque le plus profond, celui qui creuse des galeries dans les vies, sous les silences.
André n'a de cesse de mendier le père, de cerner les contours de son absence, d'attendre, de guetter, de laisser le temps s'étirer, de se cogner à l'urgence, de composer un portrait en indices et de comprendre en creux qui il a été : un avare du coeur, plein de lui-même, pétri de morgue, étroit, mesquin, beau et aimé par les femmes.
Avec ce nouveau texte, l'auteure confirme la place si particulière qu'elle occupe aujourd'hui dans le paysage de la littérature française. Toujours aussi puissante, son écriture reste limpide et fluide.
« J'ai l'oeil, je n'oublie à peu près rien, ce que j'ai oublié, je l'invente.J'ai toujours fait ça, comme ça, c'était mon rôle dans la famille, jusqu'à la mort de grand-mère Lucie, la vraie mort, la seconde. Elle ne voulait personne d'autre pour lui raconter, elle disait qu'avec moi elle voyait mieux qu'avant son attaque. ».
Le Franprix de la rue du Rendez-Vous, à Paris. Une femme, que l'on devine solitaire, regarde et imagine. Gordana, la caissière. L'homme encore jeune qui s'obstine à venir chaque vendredi matin... Silencieusement elle dévide l'écheveau de ces vies ordinaires. Et remonte le fil de sa propre histoire.
Joseph est ouvrier agricole dans une ferme du Cantal. Il a bientôt soixante ans. Il connaît les fermes de son pays, et leurs histoires. Il est doux, silencieux. Il a aimé Sylvie, un été, il avait trente ans. Elle n'était pas d'ici et avait beaucoup souffert, avec et par les hommes. Elle pensait se consoler avec lui, mais Joseph a payé pour tous. Sylvie est partie au milieu de l'hiver avec un autre. Joseph s'est mis à boire, comme on tombe dans un trou.
Joseph a un frère, marié, plus beau et entreprenant, qui est allé faire sa vie ailleurs et qui, à la mort du père, a emmené la mère vivre dans sa maison. Joseph reste seul et finira seul. Il est un témoin, un voyeur de la vie des autres.
Fille de paysans, Claire monte à Paris pour étudier. Elle n'oublie rien du monde premier et apprend la ville où elle fera sa vie.
C'est un abécédaire choisi. Il va de Arbres à Vaches en passant par Chemins, Journal, ou Tracteurs. Ce serait l'os des choses, leur velours ; et comme une déclaration d'amour répétée vingt-six fois.
Éric savait par coeur certaines annonces choisies, Célibataire quarante-quatre ans un mètre soixante-sept soixante-neuf kilos sans enfants chauffeur agriculteur cherche jeune femme aimant campagne voulant fonder un foyer heureux désirant enfants ; ou encore, Cherche compagne cinquante soixante-deux ans féminine (bien bustée) sans attaches pour vie alternée Paris campagne.Paul, quarante-six ans, paysan à Fridières, Cantal, ne veut pas finir seul.Annette, trente-sept ans, vit à Bailleul dans le Nord avec son fils. Elle n'a jamais eu de vrai métier. Elle a aimé Didier, le père d'Éric, mais ça n'a servi à rien. Elle doit s'en aller. Recommencer ailleurs. Elle répond à l'annonce que Paul a passée.L'Annonce de Marie-Hélène Lafon raconte leur rencontre et leur histoire. C'est une histoire d'amour.
Les Santoire, le frère et la soeur, sont la quatrième et dernière génération. En face de chez eux, de l'autre côté de la route, prolifère la tribu des voisins. Sentinelles muettes, les Santoire contemplent la vie des autres, les vrais vivants.
Mo travaille au centre commercial. Il est le dernier fils, le gardien de la mère depuis la mort du père. Jusqu'au jour où il rencontre Maria.
Rémi a grandi avec ses soeurs dans une ferme au bout du monde. Il invente maintenant sa vie à Paris avec Isabelle et Louise.
Laurent a aimé Marlène. Elle n'est plus là. Il faut continuer à vivre.
«Très vite, tous se demanderaient sans se l'avouer comment on avait pu jusqu'alors vivre sans André, son babillage, ses rires, sa vitalité tendre et sa douceur. Il avait été dans la maison comme une chanson vive, en dépit des ragots et de ce trou que creusait dans sa vie l'absence d'un père.».
André grandit heureux dans la famille de sa tante, auprès de ses cousines. Mais au fond de lui reste tapie la douleur d'être le fils d'un père inconnu et d'une mère distante. Alors qu'André est sur le point de se marier, sa mère lui livre un nom...Dans la France rurale du KKe siècle, l'Histoire du fils est aussi celle de trois générations qui se débattent avec le poids des silences familiaux.
«Il y a comme ça des périodes où les plaques tectoniques de nos vies se mettent en mouvement, où les coutures des jours craquent, où l'ordinaire sort de ses gonds ; ensuite le décor se recompose et on continue.» Le Franprix de la rue du Rendez-Vous, à Paris. Une femme, que l'on devine solitaire, raconte et imagine. Gordana, la caissière. L'homme qui s'obstine à venir chaque vendredi matin. Silencieusement elle dévide l'écheveau de ces vies ordinaires. Et remonte le fil de sa propre histoire.
Joseph est un doux. Joseph n'est pas triste, du tout. Joseph existe par son corps, par ses gestes, par son regard ; il est témoin, il est un regardeur, et peut-être un voyeur de la vie des autres, surtout après la boisson, après les cures. Il reste au bord, il s'abstient, il pense des choses à l'abri de sa peau, tranquille, on ne le débusquera pas.
«À la porte de Gentilly, en venant de la gare, on n'avait pas vu de porte du tout, rien de rien, pas la moindre casemate, quelque chose, une sorte de monument au moins, une borne qui aurait marqué la limite, un peu comme une clôture de piquet et de barbelés entre des prés.» Fille de paysans, Claire monte à Paris pour étudier.
Elle n'oublie rien du monde premier et apprend la ville où elle fera sa vie.
Les pays raconte ces années de passage.
"A Nevers, la deuxième fois, Annette et Paul avaient apporté des photos.
Ils avaient eu l'idée le premier jour, en novembre. Ils ne savaient plus qui l'avait pensé et proposé d'abord. Ils avaient été du même avis ; ça aiderait pour raconter pour faire comprendre ; ils n'étaient pas seuls dans cette affaire, ils n'étaient pas neufs ; l'enfant la mère la soeur les oncles, on les imaginerait mieux, chacun de son côté, avant de les connaître en vrai.". Paul, quarante-six ans, paysan à Fridières dans le Cantal, ne veut pas finir seul.
Annette, trente-sept ans, vit à Bailleul dans le Nord. Après avoir rompu avec le père de son fils, elle doit s'en aller, recommencer ailleurs... Marie-Hélène Lafon nous raconte leur rencontre, née d'une petite annonce dans un journal, lue et découpée. C'est une histoire d'amour.
Les Santoire, le frère et la soeur, sont la quatrième génération. Ils ne se sont pas mariés, n'ont pas eu d'enfants. En face de chez eux, de l'autre côté de la route, prolifère la tribu des voisins qui ont le goût de devenir. Sentinelles muettes, les Santoire happent les moindres faits et gestes. Et contemplent la vie des autres. Celle des vrais vivants. D'une plume toute en économie et en tensions, Marie-Hélène Lafon dépeint avec finesse la fin d'un monde, d'une civilisation.
«Il disait à Mo je te boxe, je te boxe, je t'écrase, je te meurs, ça va fillette ça va, rentre chez ta mère, heureux les simples d'esprit le royaume de Dieu est à eux, allez en paix mon fils, vous avez du feu, va mourir Mo va mourir, et d'autres phrases qui les faisaient rire les deux dans la grande allée du centre. Mo ne savait pas pourquoi il riait.»Au centre commercial, Mo travaille à la gestion des rayons et des stocks. Il est le dernier fils, le gardien de la mère depuis la mort du père. C'est son rôle. Il semble heureux de cette vie. Cela lui est égal qu'on profite de sa gentillesse. Jusqu'au jour où il rencontre Maria.
Cette nouvelle est née en Aubrac, pays majuscule. C'est une histoire d'amour. C'est un vertige...
Marie-Hélène Lafon est professeur de lettres classiques à Paris. Depuis vingt ans ses ouvrages sont remarqués pour leur exigence et leur qualité stylistique (Le Soir du chien, L'Annonce, Les Pays. Joseph, Histoires...)
Tout texte renvoie à une culture ; parfois, même, plus précisément, se construit dans la relation à un livre, à une oeuvre, voire au Livre.
Cette collection «Rapport à ...» ouvre un espace pour que les auteurs expriment leur dette, ou rendent hommage à un écrivain qui a pu être source d'inspiration ou de libération, déclencher une écriture, permettre de franchir le seuil de la page blanche...
Marie-Hélène LAFON est un professeur de lettres classique à Paris. Depuis vingt ans ses ouvrages sont remarqués et salués pour leur exigence et leur qualité stylistique (Le Soir du chien, L'Annonce, Les Pays, Joseph, Histoires...). Dans Les étés, elle dit avec force combien écrire est une aventure charnelle, incarnée, soumise à une profonde tension intérieure. Elle évoque, en particulier, l'exemple magnifique de Ramuz.
Ce livre est une joyeuse rencontre. Il part de l'invitation faite par le photographe et écrivain-voyageur Luc Baptiste à la romancière et nouvelliste Marie-Hélène Lafon de folâtrer sur un chemin d'images composé pour elle. Des images saisies chez elle, dans la haute vallée de la Santoire (Cantal), mais ailleurs aussi : Grèce, Jordanie, New-York, Vichy...
Marie-Hélène Lafon, qui sait Luc Baptiste « né loin » comme elle, a voulu ce jeu avec lui.
Dans les blancs qu'il lui offre, entre paysages rêches et entassements urbains, bêtes au pré et silhouettes d'enfants, vestiges de pierre et portraits peints sur les murs, elle est en elle et avec lui, elle se retourne sur son pays et se déporte.
«Ces lieux façonnent des gens un peu verticaux, austères et tenaces... C'est un fond dont je ne me suis jamais départie, et le travail d'écriture, depuis plus de vingt ans, m'y confronte constamment [...] ; ce nord du Cantal, ce pays perdu à mille mètres d'altitude, est fondateur ; et le sauvage n'est jamais loin ; il palpite sous l'écorce des choses.»