Gustave Flaubert (1821-1880)
Le langage du corps
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Après avoir respiré des vapeurs nocives dans l'imprimerie où il travaille, monsieur Carossa tombe malade. Par crainte d'un licenciement, il demande au médecin le silence. Et puis, un jour, il ne se lève pas. Comme un animal écrasé sur la route, il gît, à même le drap.
Yves Ravey raconte les derniers mois de son père, alors que la maladie progresse, avant de le tuer. Il a choisi le temps du présent pour ne laisser aucun espace à la nostalgie. Le présent favorise aussi la sobriété, le dépouillement. C'est sa manière d'écrire la mort de son père. Par courtes séquences successives, sans une once de lyrisme, encore moins d'apitoiement, comme si le pathos s'était fondu dans les ellipses. Les ellipses participent de la dimension éthique du livre d'Yves Ravey. Dimension remarquable.
Dans Le Drap, ni héros, ni pauvre type, ni jugement d'aucune sorte de la part du narrateur. Dans un roman familial, on avait presque oublié que c'était possible. Mais la justesse de la figure du père en dépend. Du récit, simple, naît la complexité. [...] Yves Ravey signe là un livre d'autant plus fort que cette représentation nue de la mort, aujourd'hui, est presque taboue. On se rappelle quelques pages d'Annie Ernaux. On pense surtout à La Gueule ouverte de Maurice Pialat, où un fils accompagnait la mort de sa mère avec le même amour implicite, et la même impuissance.
Christophe Kantcheff, Politis
Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d'être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l'ont mené là : son divorce, la garde de son fils Erwan, son licenciement et puis surtout, les miroitants projets de Lazenec. Il faut dire que la tentation est grande d'investir toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer. Encore faut-il qu'il soit construit.
L'Établi, ce titre désigne d'abord les quelques centaines de militants intellectuels qui, à partir de 1967, s'embauchaient, « s'établissaient » dans les usines ou les docks. Celui qui parle, ici a passé une année, comme O S. 2, dans l'usine Citroën de la porte de Choisy. Il raconte la chaîne, les méthodes de surveillance et de répression, il raconte aussi la résistance et la grève. Il raconte ce que c'est, pour un Français ou un immigré, d'être ouvrier dans une grande entreprise parisienne.
Mais L'Établi, c'est aussi la table de travail bricolée où un vieil ouvrier retouche les portières irrégulières ou bosselées avant qu'elles passent au montage.
Ce double sens reflète le thème du livre, le rapport que les hommes entretiennent entre eux par l'intermédiaire des objets : ce que Marx appelait les rapports de production.
« Alors, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
Avec la lumière du soleil qui maintenant frappait le sol et les meubles de vieux bois marqueté, avec l'ombre des croisillons aux fenêtres qui dessinait comme un quadrillage penché sur l'épaisse moquette, elle a fini par dire qu'elle était revenue tout récemment, que pour l'instant elle logeait chez son père et qu'elle avait déposé un dossier pour un logement mais que peut-être il pourrait appuyer sa demande et que voilà, ce serait formidable pour elle si... »
La carrière de Gérard Fulmard n'a pas assez retenu l'attention du public. Peut-être était-il temps qu'on en dresse les grandes lignes.
Après des expériences diverses et peu couronnées de succès, Fulmard s'est retrouvé enrôlé au titre d'homme de main dans un parti politique mineur où s'aiguisent, comme partout, les complots et les passions.
Autant dire qu'il a mis les pieds dans un drame. Et croire, comme il l'a fait, qu'il est tombé là par hasard, c'est oublier que le hasard est souvent l'ignorance des causes.
Il ne reste presque plus rien à La Bassée : un bourg et quelques hameaux, dont celui qu'occupent Bergogne, sa femme Marion et leur fille Ida, ainsi qu'une voisine, Christine, une artiste installée ici depuis des années.
On s'active, on se prépare pour l'anniversaire de Marion, dont on va fêter les quarante ans. Mais alors que la fête se prépare, des inconnus rôdent autour de la maison.
" Qu'est-ce que ça veut dire, moderato cantabile ? Je ne sais pas. " Une leçon de piano, un enfant obstiné, une mère aimante, pas de plus simple expression de la vie tranquille d'une ville de province. Mais un cri soudain vient déchirer la trame, révélant sous la retenue de ce récit d'apparence classique une tension qui va croissant dans le silence jusqu'au paroxysme final. " Quand même, dit Anne Desbarèdes, tu pourrais t'en souvenir une fois pour toutes. Moderato, ça veut dire modéré, et cantabile, ça veut dire chantant, c'est facile. "
Ça raconte Sarah, sa beauté mystérieuse, son nez cassant de doux rapace, ses yeux comme des cailloux, verts, mais non, pas verts, ses yeux d'une couleur insolite, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. Ça raconte Sarah la fougue, Sarah la passion, Sarah le soufre, ça raconte le moment précis où l'allumette craque, le moment précis où le bout de bois devient feu, où l'étincelle illumine la nuit, où du néant jaillit la brûlure. Ce moment précis et minuscule, un basculement d'une seconde à peine. Ça raconte Sarah, de symbole : S.
Jean Seghers est inquiet : sa station-service a été déclarée en faillite. Son veilleur de nuit-mécanicien lui réclame ses indemnités et, de surcroît, il craint que sa femme entretienne une liaison avec le président du tribunal de commerce.
Alors, il va employer les grands moyens.
Pour quelqu'un de ma génération, né après la Seconde Guerre mondiale et désireux de savoir comment il se serait comporté en de telles circonstances, il n'existe pas d'autre solution que de voyager dans le temps et de vivre soi-même à cette époque. Je me propose donc ici, en reconstituant en détail l'existence qui aurait été la mienne si j'étais né trente ans plus tôt, d'examiner les choix auxquels j'aurais été confronté, les décisions que j'aurais dû prendre, les erreurs que j'aurais commises et le destin qui aurait été le mien.
Sibylle, à qui la jeunesse promettait un avenir brillant, a vu sa vie se défaire sous ses yeux. Comment en est-elle arrivée là ? Comment a-t-elle pu laisser passer sa vie sans elle ? Si elle pense avoir tout raté jusqu'à aujourd'hui, elle est décidée à empêcher son fils, Samuel, de sombrer sans rien tenter.
Elle a ce projet fou de partir plusieurs mois avec lui à cheval dans les montagnes du Kirghizistan, afin de sauver ce fils qu'elle perd chaque jour davantage, et pour retrouver, peut-être, le fil de sa propre histoire.
« Pour Le Corps lesbien j'étais face à la nécessité d'écrire un livre entièrement lesbien dans sa thématique, son vocabulaire et sa texture, un livre lesbien du début à la fin, de la première à la quatrième de couverture. Je me trouvais par conséquent devant une double béance : celle de la page blanche que doivent affronter tous les écrivains lorsqu'ils commencent un livre, et une autre de nature différente : il n'existait aucun livre de ce genre. Jamais je n'ai relevé un défi aussi radical. Pouvais-je tenter cela ? En étais-je seulement capable ? Et quel serait alors ce livre ? J'ai gardé le manuscrit six mois dans un tiroir avant de le donner à mon éditeur. » Monique Wittig
Les tropismes, a expliqué l'auteur, " ce sont des mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu'il est possible de définir. " Vingt-quatre petits tableaux d'oscillations intérieures presque imperceptibles à travers clichés, lieux communs et banalités quotidiennes : vingt-quatre petits récits serrés, où il n'y a plus de trame alibi, plus de noms propres, plus de " personnages ", mais seulement des " elle " et " il ", des " ils " et " elles ", qui échangent leur détresse ou leur vide au long de conversations innocemment cruelles ou savamment féroces. (...) Textes très courts où une conscience jamais nommée, simple référence impersonnelle, s'ouvre ou se rétracte à l'occasion d'une excitation extérieure, recevant la coloration qui permet de l'entrevoir.
Gaëtan Picon.
Mon premier livre contenait en germe tout ce que, dans mes ouvrages suivants, je n'ai cessé de développer. Les tropismes ont continué d'être la substance vivante de tous mes livres.
Nathalie Sarraute, préface à L'Ère du soupçon, Gallimard, 1964.
Initialement publié par Denoël en 1939, le premier livre de Nathalie Sarraute (1900-1999) est paru aux Éditions de Minuit en 1957, dans une nouvelle version où l'auteur avait retranché un chapitre pour en ajouter six nouveaux.
Ce volume rassemble des poèmes de Paul Eluard (1895-1952) publiés pendant la Seconde Guerre mondiale, le plus souvent dans la clandestinité sous des pseudonymes tels que Jean du Haut ou Maurice Hervent, dans divers recueils, revues et brochures (dont L'Honneur des poètes, Minuit, juillet 1943 et Europe, Minuit, mai 1944). Ainsi le recueil Poésie et vérité 1942, publié en mai 1942 aux Éditions de la Main à la Plume, et dans lequel figurent " La Dernière Nuit et quelques autres poèmes dont le sens ne peut guère laisser de doutes sur le but poursuivi : retrouver, pour nuire à l'occupant, la liberté d'expression ".
L'un de ces " quelques autres poèmes " est Liberté.
" Et partout en France, écrit Paul Eluard dans la bibliographie du recueil, des voix se répondent, qui chantent pour couvrir le lourd murmure de la bête, pour que les vivants triomphent, pour que la honte disparaisse. "
Constance étant oisive, on va lui trouver de quoi s'occuper. Des bords de Seine aux rives de la mer Jaune, en passant par les fins fonds de la Creuse, rien ne devrait l'empêcher d'accomplir sa mission. Seul problème : le personnel chargé de son encadrement n'est pas toujours très bien organisé.
Autour de l'enlèvement de Constance, son héroïne, l'écrivain tisse un dispositif romanesque complexe et génial. Voyage entre Paris, Pyongyang et la Creuse.
Mélange indistinct de modestie et d'aristocratique désinvolture, Jean Echenoz aime à définir ses romans comme des « machines à fiction », des « mécaniques bricolées ». Soit, mais pas si bricolées que ça, disons plutôt des mécanismes de haute précision, divinement conçus, réglés avec une minutie d'horloger suisse et huilés par un humour hautement métaphysique à la Chaplin. La pièce centrale du nouveau dispositif échenozien, de la radieuse « machine à fiction » qui sous-tend Envoyée spéciale, se nomme Constance.
Reste que l'intrigue d'Envoyée spéciale est résolument rétive à tout résumé. Ce n'est pas qu'on s'en moque, loin de là, au contraire, des aventures de Constance, qui la mèneront jusqu'à Pyongyang - cela, on peut le révéler sans déflorer le suspense. On est même captivé, littéralement fasciné par le génial dispositif romanesque dont Jean Echenoz tire ici les ficelles. On croirait entendre l'écrivain soudain prendre la parole lorsque au coeur du livre un agent des services secrets (car, oui, la DGSE, ou quelque officine de ce genre, est mêlée à toute cette affaire, et Envoyée spéciale est un roman d'espionnage) se félicite : « Tout est en place et chacun joue sa partie. Ils n'ont aucune idée de ce qu'ils font, mais ils font tout comme je l'avais prévu. » Plus sophistiquée, plus maîtrisée que jamais, la « machine à fiction » de Jean Echenoz est une incomparable fabrique de sortilèges...
Nathalie Crom, Télérama
Publié cinq ans après L'Opoponax, Les Guérillères, second livre de Monique Wittig, vient à son heure pour souligner et fortifier notre conviction. Le talent de cet écrivain le porte, j'allais écrire, pour notre plaisir et notre profonde satisfaction, à faire du récit le lieu naturel de la contestation du langage, non pas contestation abrupte et maladroite, mais contestation habile par le biais d'une opération beaucoup plus subtile et toujours séduisante. Il semble, en effet, que mots et phrases soient deux fois présents dans le texte : d'abord comme les mots et les phrases de l'usage traditionnel, ensuite comme éléments actifs de l'autodestruction. La métamorphose est très frappante dans ce nouveau livre. Convaincante aussi, tant est sensible le renouveau des images, et leur force.
Notons pour commencer, que les Guérillères (ce curieux féminin de « guérilleros ») ne sont ni les cousines, ni les lointaines descendantes des Amazones auxquelles Hérodote prêta le nom scythe d'Oiorpata, ou tueuses d'hommes. La destruction de l'homme n'est pas l'enjeu du combat que les guérillères ont décidé de mener jusqu'à son therme. Ce qu'elles combattent, c'est l'oppression, ou plutôt sa cause, le langage, celui qu'elles ont reçu des hommes, lesquels les ont, par ce moyen, d'abord nommées, puis soumises et réduites à la merci des mots. Ce qu'elles veulent promouvoir, c'est un monde nouveau où elles retrouveront l'expression de l'indépendance originelle.
André Dalmas, La Quinzaine littéraire (novembre 1969).
Mon but a été de faire que le elles arrive comme un choc pour le lecteur, comme une surprise ;
Puisqu'elles tient tout le récit il doit s'en suivre une sorte de désorientation. Le lecteur entre dans un livre et se trouve confronté avec un elles qui n'est pas familier, pas ordinaire et qui est nouveau et héroïque. En tout cas, c'est ce qui m'a guidée et l'espoir que ce elles pourrait situer le lecteur dans un espace au-delà des catégories de sexe pour la durée du livre. C'est peut-être ici que réside l'utopie.
Monique Wittig, «Quelques remarques sur Les Guérillères», L'Esprit créateur (hiver 1994).
Aucun de nous ne reviendra est, plus qu'un récit, une suite de moments restitués. Ils se détachent sur le fond d'une réalité impossible à imaginer pour ceux qui ne l'ont pas vécue. Charlotte Delbo évoque les souffrances subies et parvient à les porter à un degré d'intensité au-delà duquel il ne reste que l'inconscience ou la mort. Elle n'a pas voulu raconter son histoire, non plus que celle de ses compagnes ; à peine parfois des prénoms. Car il n'est plus de place en ces lieux pour l'individu.
« Une voix qui chuchote, déchirante. Un chuchotement à fleur de vie et d'horreur. Cette voix une fois entendue vous obsède, ne vous quitte plus. Je ne connais pas d'oeuvre comparable à celle de Charlotte Delbo, sinon Guernica, sinon le film Nuit et brouillard, même pudeur, même déchirure, même atroce tendresse, chez cette femme, chez Alain Resnais. Cette douloureuse et bouleversante incantation est de ces livres rares qui laissent soudain le lecteur en pays étranger à lui-même. » François Bott, L'Express, 1970
" je m'en vais ", ce sont les premiers mots prononcés par le héros du roman d'echenoz, qui vient de décider de quitter sa femme.
Ce sont également les derniers mots du livre, émis par ce même héros lorsque, après une année d'errance et d'aventure, le coeur brisé, il revient hanter ce qui fut le domicile conjugal. la boucle est bouclée, la révolution est terminée, la parenthèse se ferme, le héros a simplement un peu vieilli. il a connu des aventures qu'on dirait palpitantes à cause des dérèglements de son muscle cardiaque, il est allé jusqu'au pôle nord pour récupérer un trésor d'ancien art esquimau, il a été volé et voleur, escroc et escroqué, séducteur et séduit, il a vécu.
Il ne lui en reste qu'un vague malaise et un essoufflement. de livre en livre, depuis le méridien de greenwich, paru il y a vingt ans, jean echenoz s'est fait le cartographe de son temps. de ses séismes, de ses catastrophes, de son imaginaire, de ses objets, de ses rêves et de sa longue glissade hors du réel : dans les images, dans les fantasmes, dans les rêveries de conquête, dans l'éloignement de soi et des autres.
Je m'en vais, c'est aussi la formule d'adieu d'un siècle bien incapable de savoir où il va et qui oublie même de se poser la question. il s'en va, c'est tout. pierre lepape, le monde
Ils ont été appelés en Algérie au moment des événements , en 1960. Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d'autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies.
Mais parfois il suffit de presque rien, d"une journée d'anniversaire en hiver, d'un cadeau qui tient dans la poche, pour que, quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier.
Oh les beaux jours. Pièce en deux actes pour deux personnages, écrite en anglais entre 1960 et 1961. Traduite en français par l'auteur en 1962. La première représentation, avec Madeleine Renaud dans le rôle de Winnie et Jean-Louis Barrault dans celui de Willie, eut lieu en septembre 1963 au Festival du Théâtre de Venise, où elle remporta un immense succès. Fin octobre 1963, la pièce fut reprise par ces mêmes acteurs à Paris au Théâtre de l'Odéon. Elle a figuré ensuite durant de très nombreuses années au répertoire de la Compagnie Renaud-Barrault.
Première publication en anglais : Happy Days, New York, Grove Press, 1961. Première publication de la traduction française aux Éditions de Minuit en 1963.
« Dans une étendue désertique d'herbe brûlée se dresse un petit mamelon aux pentes douces dans lequel Winnie est enterrée, d'abord jusqu'au-dessus de la taille. Winnie se souvient qu'en la voyant, un passant s'était demandé : " À quoi ça rime ? ... fourrée jusqu'aux nénés dans le pissenlit... ça signifie quoi ? » Cela rime avec la vie de tout être humain. Cela signifie le courage dont la personne humaine peut se montrer capable.
Winnie est pleinement vivante, c'est-à-dire qu'elle endure stoïquement tout ce que vivre implique. Elle est l'incarnation même du courage qu'exige l'inéluctable déroulement de la vie, jour après jour « à perte de passé et d'avenir ». Envers et contre toutes les souffrances et les indignités du délabrement, il émane de Winnie une inébranlable volonté de dignité humaine : « Tiens-toi, Winnie », se dit-elle, « advienne que pourra, tiens-toi. » Certes, elle aurait tout lieu de sombrer dans des « bouillons de mélancolie », mais elle s'y refuse farouchement. Puisque vivre c'est continuer encore, autant perdurer « d'un coeur léger », dignité oblige. Elle s'est ainsi forgé l'art inépuisable de trouver dans la moindre babiole, dans l'événement le plus minime, une source de pétulant intérêt et de vif plaisir : « Ça que je trouve si merveilleux » ne cessera-t-elle de s'exclamer. L'apparente frivolité de son discours est, comme l'humour, la chatoyante politesse du désespoir. « Oh le beau jour encore que ça aura été... Encore un... Après tout. » L'humour de Samuel Beckett ne verse jamais dans l'amère dérision. Oh les beaux jours est une oeuvre infiniment tonique, puissante, tout à la fois drolatique et profondément bouleversante. » Edith Fournier Pas moi. Pièce en un acte pour une bouche, écrite en anglais. Première publication : Not I, Londres, Faber and Faber, 1973. Pré-publication de la traduction française par l'auteur dans la revue Minuit, n°12, 1975.
Il était temps de devenir propriétaires. Soucieux de notre empreinte environnementale, nous voulions une construction peu énergivore, bâtie en matériaux durables. Aux confins de la ville se tramaient des écoquartiers. Notre choix s'est porté sur une petite commune en plein essor. Nous étions sûrs de réaliser un bon investissement.
Plusieurs mois avant de déménager, nous avons mesuré nos meubles, découpé des bouts de papier pour les représenter à l'échelle. Sur la table de la cuisine, nous déroulions les plans des architectes, et nous jouions à déplacer la bibliothèque, le canapé, à la recherche des emplacements les plus astucieux. Nous étions impatients de vivre enfin chez nous.
Et peut-être aurions-nous réalisé notre rêve si, une semaine après notre installation, les Lecoq n'avaient emménagé de l'autre côté du mur.
Mon Opoponax, c'est peut-être, c'est même à peu près sûrement le premier livre moderne qui ait été fait sur l'enfance. Mon Opoponax, c'est l'exécution capitale de quatre-vingt-dix pour cent des livres qui ont été faits sur l'enfance. C'est la fin d'une certaine littérature et j'en remercie le ciel.
C'est un livre à la fois admirable et très important parce qu'il est régi par une règle de fer, jamais enfreinte ou presque jamais, celle de n'utiliser qu'un matériau descriptif pur, et qu'un outil, le langage objectif pur. Ce dernier prend ici tout son sens. Il est celui-là même - mais porté au plain-chant par l'auteur - dont l'enfance se sert pour déblayer et dénombrer son univers. Ce qui revient à dire que mon Opoponax est un chef d'oeuvre d'écriture parce qu'il est écrit dans la langue exacte de l'Opoponax.
Mais il ne faut pas s'effrayer : les adultes même s'ils l'ignorent connaissent le langage opoponax.
Il leur suffira de lire le livre de Monique`Wittig pour qu'ils s'en souviennent. À moins, mais cela peut arriver, d'avoir des yeux très fatigués par une littérature très fausse ou d'ignorer même si on fait carrière dans la littérature.
De quoi s'agit-il dans le livre ? D'enfants. De dix, cent petites filles et petits garçons qui portent les noms qu'on leur a donnés mais qui pourraient aussi bien les échanger contre des sous neufs.
Il s'agit de mille petites filles ensemble, d'une marée de petites filles qui vous arrive dessus et qui vous submerge. Il s'agit bien de cela en effet, d'un élément fluide et vaste, marin. Toute une moisson, une marée d'enfants portés par une seule vague : car tout d'abord, quand le livre débute, ils sont très très jeunes, ils sont dans le fond d'un âge sans fin. On a dans les trois ans, je dirais, de Véronique Legrand ?
Nous avons tous écrit ce livre, vous aussi bien que moi. Une seule d'entre nous a découvert cet Opoponax que nous avons tous écrit, que nous le voulions ou non. C'est une fois le livre fermé que s'opère la séparation... Un chef-d'oeuvre.
" Ces textes ne constituent en rien une théorie du roman; ils tentent seulement de dégager quelques lignes d'évolution qui me paraissent capitales dans la littérature contemporaine. Si j'emploie volontiers, dans bien des pages, le terme de Nouveau Roman, ce n'est pas pour désigner une école, ni même un groupe défini et constitué d'écrivains qui travailleraient dans le même sens; il n'y a là qu'une appellation commode englobant tous ceux qui cherchent de nouvelles formes romanesques, capables d'exprimer (ou de créer) de nouvelles relations entre l'homme et le monde, tous ceux qui sont décidés à inventer le roman, c'est-à-dire à inventer l'homme. Ils savent, ceux-là, que la répétition systématique des formes du passé est non seulement absurde et vaine, mais qu'elle peut même devenir nuisible : en nous fermant les yeux sur notre situation réelle dans le monde présent, elle nous empêche en fin de compte de construire le monde et l'homme de demain. " Alain Robbe-Grillet
Une connaissance inutile.
Alors vous saurez / qu'il ne faut pas parler avec la mort / c'est une connaissance inutile.
Une connaissance inutile est le troisième ouvrage de Charlotte Delbo sur les camps de concentration. Après deux livres aussi différents par leur forme et leur écriture que Aucun de nous ne reviendra et Le Convoi du 24 janvier, c'est dans un autre ton qu'on lira ici Auschwitz et Ravensbrück On y lira plus encore une sensibilité qui se dévoile à travers les déchirements. Si les deux précédents pouvaient apparaître presque impersonnels par leur dépouillement, dans celui-ci elle parle d'elle. L'amour et le désespoir de l'amour - l'amour et la mort ; l'amitié et le désespoir de l'amitié - l'amitié et la mort ; les souffrances, la chaleur de la fraternité dans le froid mortel d'un univers qui se dépeuple jour à jour, les mouvements de l'espoir qui s'éteint et renaît, s'éteint encore et s'acharne...
Mesure de nos jours.
Et toi, comment as-tu fait ? pourrait être le titre de ce troisième volume de Auschwitz et après.
Comment as-tu fait en revenant ? Comment ont-ils fait, les rescapés des camps, pour se remettre à vivre, pour reprendre la vie dans ses plis ? C'est la question qu'on se pose, qu'on n'ose pas leur poser. Avec beaucoup d'autres questions. Car si l'on peut comprendre comment tant de déportés sont morts là-bas, on ne comprend pas, ni comment quelques-uns ont survécu, ni surtout comment ces survivants ont pu redevenir des vivants. Dans Mesure de nos jours, Charlotte Delbo essaie de répondre, pour elle-même et pour d'autres, hommes et femmes, à qui elle prête sa voix.