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Béatrice Commengé
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J'ai longtemps hésité avant de la décrire. Cette image, en effet, n'avait - à première vue - rien d'exceptionnel : elle représentait une île de petite taille, posée sur l'eau, un peu au large d'un rivage, une photo comme il en existe des milliers dans les boutiques des stations balnéaires. Les îles font rêver. Les rêves se vendent bien. Celle-ci était presque entièrement couverte de végétation : des arbres au feuillage épais, d'une hauteur respectable, sous lesquels se devinaient deux ou trois maisons. Nous étions aussi loin des Maldives que des Cyclades ou du Dodécanèse. S'en dégageait plutôt la douceur d'un jardin, sa quiétude. L' île parfaite.
Sensible aux destins brisés, Béatrice Commengé désirait depuis longtemps découvrir l'Insula Ovidiu, l'île d'Ovide, au large de Tomis (aujourd'hui Constanta), ce port lointain de la mer Noire où l'auteur de L'Art d'Aimer fut relégué par Auguste à l'aube du premier millénaire. Au moment où elle s'apprête à entreprendre le voyage, au seuil de l'année 2020, en mars plus précisément, le monde s'arrête soudain pour un temps indéterminé... -
Voyager vers Trieste, Esna, Kastellorizo, Sismaringen, voyager vers des noms magnifiques, vers des écrivains dont les mots se confondent avec les lieux, comme le bleu des yeux de Joyce se confond avec la la lumière bleue de Trieste.
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Tenter d'écrire, et de décrire, le Paris de Patrick Modiano revient à tenter de rendre réel un Paris rêvé - rien de moins. Modiano a fait de Paris sa ville intérieure. Un lieu « onirique », une ville « métaphysique », « intemporelle », où les époques se superposent.
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« Le hasard m'avait fait naître sur un morceau de territoire dont l'histoire pouvait s'inscrire entre deux dates : 1830-1962. Tel un corps, l'Algérie française était née, avait vécu, était morte. Le hasard m'avait fait naître sur les hauteurs de la Ville Blanche, dans une rue au joli nom : rue des Bananiers. Dans la douceur de sa lumière, j'avais appris les jeux et les rires, j'avais appris les différences, j'avais aimé l'école Au Soleil et le cinéma en matinée, j'avais découvert l'amitié et cultivé le goût du bonheur. ».
En remontant le cours d'une histoire familiale sur quatre générations, Béatrice Commengé entremêle subtilement la mémoire d'une enfance et l'histoire de l'Algérie française. Au plus près de l'esprit des lieux, elle parvient à donner un relief singulier au récit de cet épisode toujours si présent de notre passé.
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«Il arrive aux saisons de nous attraper par surprise, un peu avant l'heure. L'ombre n'est pas prête sous les arbres. Ce treizième jour de mars, un mercredi, s'annonce glorieux comme un jour d'été, sautant par-dessus le printemps. Sur la départementale qui longe la rive droite de la Dordogne, je n'ai pas encore croisé une seule voiture. Je file vers le nord. Vers Paris. Un train me double sur la gauche. Mon train.»
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« Lawrence Durrell m'avait ouvert la porte en me demandant : «Aimez-vous l'Indian Curry ?» Sans une hésitation aucune, il me proposait de partager son délice d'enfant. Mon cerveau traduisit aussitôt : Darjeeling, 1920. C'était donc là qu'il vivait quand il avait faim - en enfance.
Il se promenait dans un paysage dont on l'avait arraché à onze ans et qu'il n'avait jamais revu.
J'étais venue chercher la Provence, la Grèce, l'Égypte, Alexandrie, et il m'offrait l'Himalaya.
L'homme de soixante-quatre ans vivait toujours au pays de Kipling. » Ce voyage sur les pas de Lawrence Durell nous conduit d'abord à Sommières où, en 1976, la narratrice rencontra l'écrivain avant de nous emporter à travers tous les continents vers les multiples demeures et paysages qu'a connus Durrell.
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Deux passions remplissent la vie de Béatrice Commengé : la littérature et les voyages.
C'est donc tout naturellement que, depuis de nombreuses années, elle tente de les concilier. Chaque page lue pique sa curiosité, et c'est livre en poche qu'elle part sur les traces des auteurs, de leurs villes natales, des cimetières hébergeant leurs tombes, ou des paysages ayant nourri leur plume. Et, lorsqu'au retour de ses pérégrinations, elle raconte ses voyages, cela donne des chroniques vivantes, joyeuses et érudites.
Nous avons publié un premier recueil de ces textes, Voyager vers des noms magnifiques, en 2009. Ce nouvel opus, ces Flâneries anachroniques, des promenades hors du temps, nous entraîne vers d'autres villes, d'autres écrivains. Béatrice pourchasse l'ombre d'Henry Miller dans les nombreux hôtels qui l'hébergèrent à Paris ; elle suit le parcours imaginaire d'Hölderlin à Athènes, lui qui écrivit de si belles pages sur la Grèce sans jamais y avoir mis les pieds ; puis part à Darjeeling pour vérifier si le jeune Lawrence Durrell voyait bien l'Himalaya depuis la fenêtre de son pensionnat ; elle flâne ensuite dans les ruelles qui abritèrent les amours de Diderot et Sophie ; elle emboîte le pas, enfin, à Italo Svevo cherchant sa jeunesse dans les rues de Trieste.
Et le lecteur, en refermant ce petit livre se sent pris de deux envies contradictoires, celle de sortir sa valise et celle de se plonger dans sa bibliothèque. Mais d'après Béatrice Commengé, cela n'a rien d'incompatible !
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«Au milieu d'une humanité qui ne se composait plus pour moi que de morts et de vivants, j'avais quelque mal à prendre au sérieux le théâtre de la société. Depuis que j'avais quitté le lycée, mon univers, imperceptiblement, s'était divisé en deux : un monde senti et un monde imprimé. Tous deux formaient la réalité. Les jours s'ouvraient comme des pages, se touchaient, se goûtaient, se savouraient, se refermaient. Être en vie (puisque tel était l'ordre) me semblait nécessaire et suffisant et me délivrait du même coup de l'ambition, de la jalousie, de la cupidité, de la rancoeur - en un mot, du ressentiment. Je vivais donc, attentif à mes goûts.»
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En face du jardin ; six jours dans la vie de rainer maria rilke
Béatrice Commengé
- Flammarion
- 24 Janvier 2007
- 9782082105576
Entre le 23 et le 29 octobre 1920, le poète Rainer Maria Rilke, alors âgé de quarante-cinq ans, séjourne seul à Paris, à l'hôtel Foyot, face au jardin du Luxembourg.
Six journées vécues dans la plus parfaite clandestinité, où semble s'établir un accord inespéré entre le lieu, le moment, la disposition du cur et de l'esprit. Pendant six jours, le ciel reste d'un bleu limpide, comme si rien ne devait entraver les retrouvailles de l'auteur des Carnets de Malte Laurids Brigge avec sa ville, qu'il a quittée six ans plus tôt. Paris lui avait offert Rodin, Verhaeren et Gide, et lui offre aujourd'hui, après la fracture de la guerre, la permission de circuler librement à l'intérieur de sa conscience.
Paris n'est plus que points de jonction entre aujourd'hui et autrefois, entre ici et là-bas, Saint-Pétersbourg, Rome, Venise, Worpswede, Berlin... Et la vie apparaît soudain comme une succession de correspondances sublimes. En cet automne miraculeux, Rilke est un homme amoureux. L'aimée, Baladine Klossowska, baptisée Merline, est restée à Genève. Mais Rilke est surtout un poète en attente. En attente de cette solitude qui permettra peut-être le jaillissement de ses Elégies, commencées six ans plus tôt au château de Duino.
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Depuis qu'Agnès est morte, il a traversé deux fois l'océan Atlantique et seulement une fois le Pacifique (toujours en avion), il a séjourné sur cinq îles et écrit trois livres, il a visité des villes en ruine et de vraies villes, il a marché, beaucoup, dans ces villes et dans la campagne.
Depuis qu'Agnès est morte, il a aimé Éléonore qui, seule, a poursuivi sa route. Il n'a jamais su de quoi Agnès était morte, à vingt-cinq ans. Déjà, ils s'étaient quittés. Tout cela, il l'a raconté à Sabine. Mais Sabine ne connaît pas le Vincent qu'Agnès a aimé. Il n'existe plus. En fait, Vincent s'est-il jamais intéressé à autre chose qu'à la lumière dans le ciel et aux imperceptibles changements que le temps laisse sur le visage des jeunes filles ? -
Un homme attend une femme sur un quai de gare. Durant les trois heures de son voyage en train, elle lui écrit une lettre, moyen pour elle d'accroître le plaisir de l'attente, et de se souvenir des débuts de leur histoire, de ces longs mois passés à se frôler, à rester suspendus au bord de l'aveu, jusqu'à ce que devienne inévitable le moment, maintenant tout proche, où leur destin s'accomplira.
Les Grecs vénéraient un jeune dieu aux pieds ailés du nom de Kairos, le dieu de l'occasion opportune, de cet instant unique, qu'il faut savoir saisir, où la chance passe près de nous.
C'est sous son invocation que Béatrice Commengé place ce récit d'un amour à son aurore. Elle restitue, avec grâce et finesse, la perfection bouleversante de sentiments que le temps n'a pas abîmés, cet éclat fugitif qu'a le bonheur quand il s'approche.