Je me tiens à ce fil lancé vers toi et je sens que je peux me relever dans ce monde-ci. Je te parle, Svetlana, et je sens ma peur refluer, je la sens refluer loin à l'arrière de mon crâne, je sens ma peur s'émousser, devenir pointe minuscule, presque insensible. Je te parle et je sens monter une joie, encore petite, encore timide, mais je la sens monter.
Qui donc connaît joseph tassël, ce jeune écrivain du début du siècle dernier qui a fait de la rêverie " un métier personnel et sérieux " et qui, de pension en hospice, échappe peu à peu à l'existence, s'effaçant dans la démence comme robert walser à qui il ressemble tant ? qui le connaît ? personne bien sûr puisque, si intense et bouleversant que soit le destin de cette âme fragile, éprise de littérature comme d'un absolu, si émouvants que soient les événements de sa vie intérieure tels que les livrent son journal, ses carnets, ses lettres, joseph tassël n'a jamais existé.
Ce paradoxe même constitue l'étrange réussite de benoît reiss : il est rare qu'un être de papier acquière une telle présence, atteigne une telle vérité. c'est au point que, quittant la présente biographie, on ne saurait se résoudre à ce qu'elle soit une fiction. on ne peut se consoler, sans doute, d'être privé à jamais de l'oeuvre d'un joseph tassël !.
Le premier livre de poésie de Benoît Reiss qu'on connaît pour ses proses subtiles et limpides. Et tout de suite un ton nous prend : « Certaines fois / je baisse les yeux / découvre un dédale de ciels distincts assez nombreux / instants évadés à l'intérieur de l'instant / [...] alors je sais que je suis un terrier peuplé d'existences. » C'est un livre étrange, on ne peut plus intime, nécessaire. « Un terrier d'existences ». Un homme se souvient, par-delà l'oubli. Entre profondément dans la chair de sa chair pour y retrouver les visages. Les uns après les autres se relèvent grandsparents et ancêtres, dans les scènes les plus insignifiantes de la vie, dans ces détails infimes où ils sont tout entiers. « Ma grand-mère / adossée au silence / lave son linge de corps / accroupie dans la cour talons aux fesses / elle a calé le baquet contre les pavés / plonge les mains dans l'eau savonneuse / frotte les tissus // elle lève la tête contre la nuit d'été ».
Pas d'explications, pas de pathos, tout est montré seulement. L'errance, l'usine, le camp, la misère. « Le travail de mon aïeul consiste à couper les ongles des morts / à l'aide de tout petits ciseaux / qu'il tient serrés dans la poche de sa veste/ [...] les ongles des morts continuent de pousser / ils fouissent la terre sans relâche /[...] existences aveugles / souterraines » Ce livre est dédié par Benoît Reiss « aux Justes qui ont sauvé mes grands-parents ».
Benoît Reiss nous délivre un récit poétique tout en nuances, une narration de l'exil et de l'égarement, par touches, fragments de vécu, mémoire, visions... sous lesquels oeuvrent secrètement les déterminations absurdes de la guerre et de la Shoah.
Je fais cette expérience, le nez collé contre le grillage du parc pour regarder le jardin de Madame Oda ; ce que j'ai sous les yeux est une véritable forêt, ses multiples espèces de plantes, de fleurs et d'arbustes, ses sous-bois, ses halliers, taillis, bosquets de hautes herbes, buissons, son sentier sous les arbres, ses pierres et rochers contre les troncs, enlacés aux racines, couverst de cette sorte de mousse d'un vert si foncé qu'il devient presque noir, marque de noblesse et de grande ancienneté ; le jardin n'a plus de clôture.
Le narrateur, français exilé au Japon, observe un jardin, celui de Madame Oda, qu'elle ouvre volontiers à ceux qui s'y intéressent et à ses amis « artistes ». Elle-même est entièrement tournée vers ce jardin qu'elle façonne un peu comme on élève un enfant, en lui donnant les impulsions nécessaires pour grandir, puis en lui faisant confiance.
Tout est retenue et plaisir dans ce texte où l'on glisse (car il semble que l'écriture nous guide en douceur) dans l'atmosphère de ce jardin japonais et de ses occupants, où « sous des aspects parfois anecdotiques, parmi les plaisanteries et les rires, [...] nous parlions de choses essentielles. »
Un Anglais volant se pose à Fayolle, un village de France. Qui est-il ? Pourquoi est-il venu se poser là ? Dans le village, personne n'a de réponse mais tout le monde a une histoire. L'Anglais parle mais personne ne comprend ce qu'il dit. Reste qu'il fait des choses extraordinaires et on lui prête des intentions.
"L'Anglais volant" est le récit d'une réconciliation. Toutes les histoires rapportées laissent apparaître un élément de réponse : l'Anglais semble être venu réconcilier les habitants de Fayolle les uns avec les autres, mais aussi avec eux-mêmes.
A l'instar de figures imaginaires (lapin blanc, cyclope, Liliputien ou chevalier qui charge les moulins...), le "nonsense" et le burlesque de "L'Anglais volant" change notre manière de voir le monde. Et donne du grain à moudre à notre pensée.
Un petit garçon rêveur roule en voiture au côté d'un inconnu. Il lui a été confié par les adultes de sa pension, et ignore où celui-ci l'emmène.
Dans la douce somnolence qui l'enveloppe, surgissent peu a` peu les impressions du voyage et les images de sa vie : la pension, adoucie par la présence protectrice de Sophie, pianiste et jardinière ;
L'océan et la plage, face a` l'appartement où il vit avec sa mère et où il attend parfois son retour des nuits entières. Cette mère insaisissable disparaît pour revenir de jour en jour plus mystérieuse, plus imprévisible. L'amour fou qu'elle porte a` son fils se manifeste par éclipses flamboyantes, tandis que l'enfant l'attend, l'espère, l'invente.
Cet enfant trop sage, le « petit veilleur » de sa mère, rêve d'un monde où rien ne les séparerait. Mais la société préfère le déchirement au désordre...
Un texte poétique et essentiel, puisé aux sources de l'enfance.
« Gestes Courts rend compte d'un bouleversement dans la perception : ce n'est plus le sujet, l'individu, qui, par son regard (sa pensée, son geste...), fait advenir les choses, ce sont les choses (poteau, mur, odeur...) qui se nomment et qui, de cette façon, font apparaître le sujet, le « tu » des textes. Il y a un renversement.
Il ne s'agit cependant pas de se laisser porter, de laisser-faire, il ne s'agit pas non plus ici d'une mollesse contemplative - bien au contraire : car aussi peu que soit vouloir, il est "seul bâti/entre le feu".
Une chose a changé cependant : la place du "tu" n'est plus centrale. "Tu" est en marge - dans le regard d'un rongeur : "non pas toi mais [...] le rongeur qui te voit", dans l'indifférence d'un insecte.
Ce "tu" doit être diminué encore. "Tu" doit aller vers les "mots de moins", les gestes les plus courts. C'est un long travail que celui de se défaire - mais alors paraît (il faut l'espérer), sous ces "mots de moins", "l'éclat de lame" du réel. » Benoît Reiss
À l'école, à l'usine, en caserne, à l'épicerie, une grande fête résonne une année entière sans savoir ce qui anime tous les habitants... Un vent de liberté souffle au travers des danses, musiques et chants qui envahissent la ville.
Les habitants formaient des farandoles, des défilés de danseurs, de chanteurs et d'instruments de musique au milieu des rues. Ils dansaient, jouaient, chantaient jusqu'à l'épuisement. Alors, ils se couchaient dans l'herbe des jardins. Ils souriaient largement, leur corps et leur coeur satisfaits.
Ça lançait mille et mille couleurs !
Mais pourquoi ces danses, ces musiques, ces chansons ?
Un jour, ils se levèrent et sortirent dans les rues. Plus de musique, plus de danseurs. Tous avaient les yeux brillants.
Personne ne sait ce qui s'est passé cette année-là...
Un Français installé au Japon y enseigne sa langue à des Japonais passionnés par les complexités de la conjugaison française. De son regard d'étranger, admiratif et étonné, curieux et séduit, il observe les gens - les jeunes, les vieux, les salarymen, les spectateurs endormis au Kabuki -, la nourriture - les ramen, les biscuits de riz, les élégants gâteaux de gelée -, la nature - les grenouilles, les cerisiers, les oiseaux, les cèdres, et l'eau, surtout. Les lacs, la mer, les sources chaudes, la pluie, les fleuves, les vagues noires des tsunamis meurtriers.
Avec une écriture dépouillée, contemplative et sans artifice, Benoît Reiss décrit quelques moments de cette vie, fragments découpés dans le continu de l'existence, autant d'instantanés qui racontent la beauté et la poésie des « petites choses » du quotidien nippon.
Les aquarelles de Junko Nakamura, entre paysages exotiques et détails ordinaires, ponctuent ce récit et habitent l'espace entre ces « notes découpées », qu'elle rassemble d'un trait de pinceau.
Lors de son premier voyage au Japon, Benoît Reiss arrive chez ses hôtes et est invité à prendre un bain. Une pratique qui semble toute naturelle à ceux-ci, mais pour l'auteur, c'est tout un monde qui bascule ; il rencontre l'O'Yu - eau chaude en japonais.
Au fil de 55 textes courts, il avance doucement, mot après mot, pierre après pierre, bain après bain. Nous partageant ces fines observations, ses vives réactions, ses conversations magiques... Les mots deviennent tour à tour gouttelettes, pierres, insectes. La réalité se renverse, la séparation entre les êtres et les choses s'évapore ; les animaux parlent, de longs nuages dansent, l'eau frissonne, les mots nous éclaboussent.
Et tout cela se passe au creux d'un rocher ou près d'un distributeur de cigarettes et de canettes, au milieu d'un jardin artificiel, au bord d'une nationale, dans des bains publics ou encore dans un bassin de bois entouré de pierres noires C'est là que se côtoient employés de bureau, grand-mère et petit-fils, ouvriers, patrons, artisans, sans-abris... mais aux bains peu importe, car il est question de corps, d'infinis territoires et de sensations.
Le regard aiguisé, d'observations précises en sensations intériorisées, Benoît Reiss signe un livre bouleversant où le lecteur est tantôt absorbé, surpris, amusé, saisit . Il nous transmet les nuances de quelque chose d'essentiel : la simple et puissante certitude d'être vivant.
Attentive aux moindres bruissements d'air, aux minuscules gouttelettes, au pinceau qui se vide, à la couleur qui s'infuse, aux mouvements infimes, les encres d'Anne Leloup imprègnent les pages.
À eux deux, ils nous transmettent le désir très grand de pouvoir un jour, à notre tour, s'immerger dans l'eau et rencontrer l'O'Yu...
Tous les peuples du monde ont leur manière d'expliquer pourquoi et comment sont apparus le Ciel, la Terre, le Soleil et la Lune, les Montagnes et les Océans, les Animaux et les Hommes. Ils racontent ce que firent les Dieux au commencement pour qu'existent les choses visibles. Ils décrivent des océans sans fin, des dieux en colère, des déluges de feu et des géants débonnaires. Et aussi des animaux doués de raison, des chimères fantastiques, des tortues géantes ou des vaches de glace, des plantes miraculeuses ou des fleurs magiques. Sans oublier les histoires de dieux maladroits, d'humains désarmés, de promesses non tenues, de trahisons et de vengeance, mais aussi d'apprentissage, de connaissance, de rire et d'amour. Benoît Reiss nous raconte, d'une plume sensible et fine, humoristique et poétique, vingt-sept de ces histoires, venues des cinq continents.