Même si la plupart des humains disposent de la conscience d'avoir un moi unique et stable, ce dernier est plus fragmenté et plastique qu'on ne tend à le penser. Des sosies de Napoléon à Gary inventeur d'Ajar, de la cosplayeuse fan de Wonder Woman à l'amateur de devenir animal, du rôle d'acteur au jeu grandeur nature, en passant par l'anthropologue qui s'indigénise, David Berliner étudie un répertoire étonnant d'expériences identificatoires. En électrisant nos capacités de prise de perspective, d'empathie et d'imitation, ces formes spectaculaires du devenir autre sont autant de laboratoires de l'exploration du soi qui rendent possible l'émergence de la multiplicité et de la versatilité identitaires. On y est, notamment, amené à se découvrir soi-même comme un autre.
Et si être soi, c'était non seulement ressentir l'unité du moi, mais également éprouver son inconstance, le passage incessant entre ses diverses facettes et l'acquisition de nouvelles dimensions ? Si être soi-même, c'était à la fois être un et plusieurs, permanent et oscillant ?
Cet essai invite à étudier la gymnastique complexe du soi pour appréhender la nature hétérogène des identités ordinaires. Dans le même mouvement, il pose les bases d'une nécessaire discussion sur l'une des grandes controverses culturelles de notre époque : qui peut jouer à être qui ?
On pourrait l'appeler le tout-perdre contemporain. « On perd notre culture », « On a abandonné nos coutumes », « Les traditions se perdent », « Tout fout le camp », « Il n'y plus rien ici », « les jeunes ne s'intéressent plus au savoir », la perte se décline aujourd'hui sous toutes les formes.
Perdre sa culture, son identité, ses traditions, son savoir ou ses racines, et son corollaire - le besoin de transmettre - sont des figures mobilisées par de nombreux individus et collectifs à travers le monde. Irréversibilité du temps et lamento sur la perte, ce que l'on a perdu soimême ou pas. Au nom du tout-perdre, il faut absolument faire passer quelque chose du passé, des identités et des cultures, qu'il s'agisse des nôtres ou de celles des autres. Perdre sa culture invite le lecteur à réfléchir sur ces nostalgies patrimoniales contemporaines, en révélant les formes diverses que peut prendre le diagnostic de la perte culturelle. Alors que se multiplient partout sur le globe les revendications à la préservation culturelle, l'anthropologie nous enseigne qu'il existe des façons différentes de penser la disparition, la mémoire, la transmission et le patrimoine.
Le premier chapitre « Une impossible transmission en Afrique de l'Ouest » explore les discours liés à la perte culturelle et les mécanismes qui président à la transmission religieuse chez les Bulongic de Guinée-Conakry, une culture africaine décrite comme en train de disparaître.
Dans le second chapitre, à partir d'une recherche ethnographique menée au Laos (à Luang Prabang), j'analyse le travail de cette nostalgie patrimonialiste dans le contexte particulier d'une institution, celui de l'Unesco et de ses actions patrimoniales sur le terrain. Les chapitres 3 et 4 sont historiques et réflexifs. Le troisième chapitre expose l'histoire des liens complexes entre ethnologie et nostalgie, et invite à réfléchir sur la persistance de la figure de l'anthropologue nostalgique aujourd'hui. Enfin, l'ultime partie traîte de l'observation participante dans ces rapports avec la perte culturelle. L'anthropologue est rarement celui qui perd sa culture, mais plutôt celui qui louvoie entre différents horizons culturels et la nourrit d'influences multiples, un homme-caméléon par excellence.
Mémoires religieuses baga propose une réflexion sur la transmission culturelle et ses mécanismes en Afrique. Jadis, les Baga de Guinée-Conakry ont été de talentueux sculpteurs de masques et de puissants ritualistes connus pour leurs sociétés d'initiation masculines. Dimba, un buste féminin colossal en bois, et le masque serpentiforme Bansonyi témoignent, entre autres, de leur histoire religieuse et font aujourd'hui partie des chefs-d'oeuvre de l'art africain. Avec la venue de l'islam et du catholicisme, ces sociétés de Guinée maritime ont été transformées en profondeur, mais elles restent aussi héritières de leur passé. En l'absence d'initiations et de forêts sacrées, de nombreux éléments de l'édifice rituel d'antan ont persisté jusqu'à ce jour. Au fil des pages de cet ouvrage, le lecteur est amené à explorer les usages passés des objets baga, mais aussi ce qui reste aujourd'hui de l'héritage de ces populations littorales.