Plus qu'un roman d'aventures, Lord Jim est un récit initiatique et une sombre parabole sur le destin de l'empire britannique. Jim, l'idéaliste romantique, est dépossédé de son acte au moment même où il le commet et reste hanté par les rêves de l'illusion romanesque. Courage et lâcheté, solidarité et trahison s'enchevêtrent au point que tout jugement moral se brouille dans une irréalité où seules subsistent la solitude et la mort. Vacillant entre pulsion de mort et accomplissement sacrificiel, Jim est à la fois juge et accusé, coupable et victime, bouc émissaire et figure tragique. Dans un Patusan où le primitivisme de Conrad se colore de pessimisme post-darwinien, la jungle archaïque apparaît assez menacée par l'entropie et la barbarie. Par son tournoiement de témoignages et ses dislocations chronologiques, la narration devient un kaléidoscope où toute vérité absolue se dissout, annonçant les expérimentations modernistes et le montage cinématographique. La voix du narrateur Marlow ne peut alors que tâtonner dans une obscurité grandissante, laissant finalement le lecteur au «centre d'une formidable énigme».
Au coeur des ténèbres, la nouvelle la plus célèbre de Conrad, est le récit d'une descente aux enfers. Officier de la marine marchande britannique, le jeune capitaine Marlow part à la recherche de Kurtz, un chasseur d'ivoire qui a mystérieusement disparu dans la brousse africaine. À mesure que Marlow remonte le fleuve Congo, il s'aventure dans les ténèbres : celles d'une nature hostile où, loin de toute civilisation, résonnent les cris inquiétants des « sauvages » ; celles de l'âme humaine, dont la noirceur n'a d'égal que le mystère...
«Face à une avalanche noire et chaotique prête à rouler vers lui et l'ensevelir, face à une conception du monde lourde de mystère et de désespoirs, l'humanisme athée de Conrad résiste et s'arc-boute sur ses pieds comme Mac Whirr.» Italo Calvino
«Lisez Conrad à n'importe quelle page, et vous éprouverez le sentiment que devait éprouver Hélène en contemplant son miroir et en se rendant compte que, quoi qu'elle pût faire, elle ne pourrait jamais passer pour une femme laide. Tels étaient les dons de Conrad, telle avait été l'éducation qu'il s'était imposée à lui-même, et telle était son obligation envers une langue étrange, qu'il semblait impossible qu'il fit un mouvement de la plume où il y eût de la laideur ou un manque de sens.» Virginia Woolf «Conrad, pour moi, c'est le romancier. S'il fallait choisir un seul romancier, je choisirais Joseph Conrad. Chez Conrad, il y a quelque chose d'épique, on pense à lui comme à un homme qui a été partout, on pense à lui comme on pense à l'océan.» Jorge Luis Borges
Roman dont les personnages sont happés par une atmosphère lourde, où les ténèbres se transforment en eau, où le déluge arrive à grand bruit.
En 1905, Razumov, étudiant promis à un brûlant avenir, reste indifférent aux affrontements révolutionnaires qui agitent alors la société russe. Le soir où un ministre est assassiné, sa vie bascule : le meurtrier en fuite le supplie de l'aider. Contre son gré, Razumov devient complice. Peu à peu, le remords l'envahit... Comme un écho à Crime et châtiment, Sous les yeux de l'Occident est l'admirable histoire d'une mauvaise conscience. D'une conscience écartelée entre les valeurs occidentales et l'appartenance à l'ancienne Russie, dans un monde où la politique commence à ressembler étrangement à un roman d'espionnage.
"Oui, dit le docteur sur ma remarque, on croirait que la terre est sous une malédiction, puisque de tous ses enfants ceux-ci qui tiennent à elle par les liens les plus étroits sont gauches de corps et avec leur démarche de plomb semblent avoir le coeur chargé de chaînes. Mais sur cette même route vous auriez pu voir parmi ces hommes pesants un être agile, souple, long de membres, droit comme un pin, quelque chose dans son aspect poussant vers le haut, comme s'il avait eu la légèreté au coeur... Il était si différent de la race d'alentour qu'avec sa liberté de mouvement, son regard doux, un peu effaré, son teint olivâtre et son port gracieux, son humanité à lui me faisait penser à la nature d'un animal des bois. Il venait de là."
«Lisez Conrad à n'importe quelle page, et vous éprouverez le sentiment que devait éprouver Hélène en contemplant son miroir et en se rendant compte que, quoi qu'elle pût faire, elle ne pourrait jamais passer pour une femme laide. Tels étaient les dons de Conrad, telle avait été l'éducation qu'il s'était imposée à lui-même, et telle était son obligation envers une langue étrange, qu'il semblait impossible qu'il fit un mouvement de la plume où il y eût de la laideur ou un manque de sens.» Virginia Woolf «Conrad, pour moi, c'est le romancier. S'il fallait choisir un seul romancier, je choisirais Joseph Conrad. Chez Conrad, il y a quelque chose d'épique, on pense à lui comme à un homme qui a été partout, on pense à lui comme on pense à l'océan.» Jorge Luis Borges