« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »Par ces mots, Proust lance l'un des plus grands monuments de la littérature. Au fil des pages, le narrateur égrène des souvenirs d'enfance à Combray, puis à Paris : les promenades du côté de Guermantes ou du côté de Méséglise, les plaisirs de la lecture, l'attente anxieuse du baiser maternel, la curiosité à l'égard de Charles Swann et sa famille, la réminiscence déclenchée par la madeleine, qui ouvre la porte de « l'édifice immense du souvenir »... Par le kaléidoscope de scènes et de sensations qu'il déploie, Proust réveille en chaque lecteur une émotion enfouie, une impression familière, une vérité atemporelle.Publié en 1913, Du côté de chez Swann a révolutionné le roman réaliste. À la fois livre de mémoire, où la mélancolie se mêle aux impressions les plus marquantes, portrait de la haute société du début du XXe siècle, histoire d'un amour irrémédiablement terni par la jalousie, le premier volume d'À la recherche du temps perdu fait montre d'une force et d'une universalité rares, de celles qui font un chef-d'oeuvre.Édition de Matthieu Vernet.
« L'adolescence est le seul temps où l'on ait appris quelque chose. ».
Dans ce deuxième volume d'À la recherche du temps perdu, couronné par le prix Goncourt en 1919, le héros est maintenant adolescent. À Paris, il écoute la célèbre Berma au théâtre, pénètre dans le salon de Charles Swann et de son épouse Odette en se liant avec leur fille Gilberte, puis fait la connaissance de l'écrivain Bergotte qu'il admire depuis l'enfance. À Balbec ensuite, avec sa grand-mère et Françoise, il découvre la vie bourdonnante du Grand-Hôtel, les églises normandes et les plaisirs du bord de la mer. Il fait enfin la rencontre des Guermantes, Saint-Loup et le baron de Charlus, ainsi que du peintre Elstir et, vision inoubliable, celle d'Albertine et de ses amies de la « petite bande » remontant la digue...
Au lendemain de la Grande Guerre, Proust obtient, avec À l'ombre des jeunes filles en fleurs, le succès qu'il escomptait. Ce volume, qu'il qualifiait d'« intermède languissant », avant les thématiques plus sombres des volumes suivants, nous donne à lire une oeuvre riche et somptueuse, où affleure la vocation d'écrivain et où l'éducation sentimentale prend un nouveau tournant.
Les guermantes n'étaient pas seulement d'une qualité de chair, de cheveu, de transparent regard, exquise, mais avaient une manière de se sentir, de marcher, de saluer, de regarder avant de serrer la main, par quoi ils étaient aussi différents en tout cela d'un homme du monde quelconque que celui-ci d'un fermier en blouse.
Et malgré leur amabilité on se disait : n'ont-ils pas vraiment le droit, quoiqu'ils le dissimulent, quand ils nous voient marcher, saluer, sortir, toutes ces choses qui, accomplies par eux, devenaient aussi gracieuses que le vol de l'hirondelle ou l'inclinaison de la rose, de penser : " ils sont d'une autre race que nous, et nous sommes, nous, les princes de la terre. " " proust est quelqu'un dont le regard est infiniment plus subtil et plus attentif que le nôtre, et qui nous prête ce regard, tout le temps que nous le lisons.
Et comme les choses qu'il regarde (et si spontanément qu'il n'a jamais l'air d'observer) sont les plus naturelles du monde, il nous semble sans cesse, en le lisant, que c'est en nous qu'il nous permet de voir.
Vous êtes extraordinaire, mon cher proust ! il semble que vous ne parliez que de vous, et vos livres sont aussi peuplés que toute la comédie humaine. " andré gide.
De retour à Combray après son histoire tourmentée avec Albertine, le narrateur de La Recherche est livré à l'amertume et à l'indifférence. Ni le souvenir ni la littérature ne trouvent plus en lui d'écho sensible. Ce n'est que plus tard, à Paris, que le hasard lui procurera une expérience capitale : deux dalles disjointes sous ses pieds, le tintement d'une cuiller, ranimant en lui le souvenir et sa félicité propre, vont lui faire découvrir comment l'oeuvre d'art - celle que le romancier achève au moment où le narrateur la commence - nous donne seule accès à la vraie vie.Voyez-vous cet homme seul, luttant pied à Pied jusqu'à la mort contre le flot montant des souvenirs... Il est mort de ce travail insensé; il est mort, peut-être sans Dieu dont l'amour l'en eût détourné... A nous, ses frères plus jeunes qui l'avons admiré et aimé, voilà la Won terrible qu'il nous laisse: l'art n'est pas une plaisanterie; il y va de la vie et il y va de bien plus.François Mauriac.
Marcel Proust est probablement le premier des grands écrivains qui ait franchi les portes de Sodome et Gomorrhe en flammes. Il songea d'ailleurs à donner le nom des deux cités bibliques à l'ensemble de son oeuvre- l'objet véritable de son étude n'est pas l'idéalisation d'une passion singulière ni l'explication philosophique de son mystère ni la psychologie amoureuse de ses desservants - psychologie qui obéit simplement aux lois générales de l'amour. C'est le portrait vivant, incarné par le plus hautain des seigneurs, de « l'homme traqué » par la société, en révolte latente contre elle, c'est la lutte de la nature contre la morale.
Léon PIERRE-QUINT. Sodome, c'est M. de Charlus et Gomorrhe Albertine. Entre ces deux figures, chacune étant le centre d'une tragi-comédie dont le spectateur ne fait que percevoir les échos mêlés, le héros du livre, celui qui parle à la première personne, poursuit son voyage à la recherche du temps perdu. Roger Allard, N.R.F., juin 1992.
Lorsqu'un de ses amis, au théâtre, présente Charles Swann à Odette de Crécy, elle ne lui semble pas sans beauté, mais d'un genre de beauté qui ne le séduit pas. Et cependant, elle lui écrit pour lui demander de voir ses collections, puis retourne chez lui, rapproche bientôt ses visites, et le fait inviter par le petit clan de Mme Verdurin. Lorsqu'il s'avise qu'elle ressemble à un Botticelli, le re-gard que Swann porte sur Odette se transforme, et un jour où, arrivé en retard chez les Verdurin, il découvre que, croyant qu'il ne viendrait plus, elle est déjà repartie, une étrange souffrance le gagne : « son amour n'était plus opéra-ble. »
Deuxième partie de Du côté de chez Swann qui, en 1913, ouvre A la Recherche du Temps perdu, « Un amour de Swann » a été, dès 1930, publié en volume séparé, et il s'agit bien, en effet, d'une histoire dont l'unité s'impose ai-sément au lecteur : celle d'un amour traversé de souffrance et de jalousie, jus-qu'à ce que, dans une sorte de guérison, s'effacent les tendresses successives qui étaient nées peu à peu de la première image entrevue.
Albertine a renoncé à faire une croisière et lorsque, à la fin de l'été, elle rentre de Balbec avec le narrateur, elle s'installe chez lui, à Paris: il ne se sent plus amoureux d'elle, elle n'a plus rien à lui apprendre, elle lui semble chaque jour moins jolie, mais la possibilité d'un mariage reste ouverte, et en lui rendant la vie agréable, peut-être songe-t-il à éveiller en elle le désir de l'épouser. Il se préoccupe en tout cas de son emploi du temps, l'interroge sur ses sorties sans pouvoir bien percer si sa réponse est un mensonge, et le désir que visiblement elle suscite chez les autres fait poindre la souffrance en lui.
Paru en 1923, La Prisonnière est le premier des trois volumes publiés après la mort de Proust et, quoique solidaire, bien sûr, de Sodome et Gomorrhe qui le précède comme d'Albertine disparue qui le suit, une certaine unité lui est propre, entre l'enfermement initial du narrateur et le départ final de la jeune fille. Pour l'essentiel, trois journées simplement se déroulent ici -le plus souvent dans l'espace clos de l'appartement -, et ce sont comme les trois actes d'un théâtre où la jalousie occupe toute la place.
" Mademoiselle Albertine est partie ! " Alors que le narrateur croyait souhaiter cette séparation et ne plus aimer la jeune fille, il suffit que Françoise prononce ces mots devant lui pour qu'il en souffre tout aussitôt. Il songe alors à demander à son ami Saint-Loup d'aller la chercher en Touraine, chez sa tante, si c'est bien là qu'elle est partie. Mais elle ne revient pas. A la fin de La Prisonnière, déjà, le départ d'Albertine nous était annoncé ; comme le précédent, ce volume paraît de manière posthume en 1925. Dans ce roman de la souffrance et du chagrin où le héros se remémore son aventure avec la jeune fille, il cherche également à percer le secret de sa vie. La fin de l'amour crée un vide, une attente - celle du Temps retrouvé, où pourra se refermer A la recherche du temps perdu.
Deuxième partie de Du côté de chez Swann, paru en 1913 et parfois pris à tort pour le volume inaugural d'À la recherche du temps perdu, Un amour de Swann s'est imposé dans la seconde moitié du XXe siècle comme une oeuvre à part entière. Proust, qui avait lui-même qualifié ce chapitre de « plus public » que « Combray », y raconte l'histoire d'amour ternie par la souffrance et la jalousie de Charles Swann et d'Odette de Crécy. D'abord indifférent à l'égard de celle que le grand monde voit comme une « cocotte », Swann finit par s'éprendre d'Odette jusqu'à l'obsession et connaître les plus sombres tourments de l'amour malheureux. Dans ces pages où la justesse du propos et la finesse des analyses ne manquent pas de surprendre, Proust esquisse derrière le personnage de Swann un double de son narrateur, mais nous livre aussi une profonde réflexion sur le sentiment amoureux, le désir, la jalousie, non sans rayer la société bourgeoise de son époque.
Édition de Matthieu Vernet et Francesca Lorandini.
La passion du narrateur pour Albertine, dépeinte dans La Prisonnière, ne s'éteint pas avec la disparition de la jeune fille, qui l'a quitté avant de trouver la mors quelques mois plus tard. La Fugitive nous raconte Comment, aux tourments de la jalousie, succède d'abord la longue traversée du chagrin et des regrets, mais aussi et surtout l'expérience de l'oubli et l'éveil d'une vocation artistique, clé d'accès à une réalité supérieure.
" C'est ce que j'ai écrit de plus fort ", disait Proust de La Fugitive. L'expression de la souffrance amoureuse, des métamorphoses que le Temps opère dans les êtres, atteint en effet ici une perfection inégalée.
Il n'a pas saisi la vie par l'action même, il l'a rejointe, et comme imitée, par la surabondance des connexions que la moindre image trouvait si aisément dans la propre substance de l'auteur. Il donnait des racines infinies à tous les germes d'analyse que les circonstances de sa vie avaient semés dans sa durée.
Paul Valéry