Le Narrateur se souvient de l'enfant qu'il fut. L'attente du baiser maternel du soir, les déjeuners du dimanche chez tante Léonie, les cadeaux de la grand-mère. Il est fasciné par M. Swann, un ami de ses parents, amoureux fou d'une femme qui aime tout le monde sauf lui. Il tombe amoureux de sa fille, Gilberte, qui ne le rendra pas plus heureux. A travers ces scènes de vies - intimes ou mondaines, tragiques ou comiques - passent des impressions, des parfums, des visions. Des nymphéas à la surface d'une rivière, une madeleine oubliée dans une tasse de thé, des catleyas dans les cheveux d'une femme aimée, une bille d'agate offerte en gage d'amitié... Mais, une fois adulte, comment demeurer cet enfant émerveillé dans un monde que l'on ne reconnait plus, où l'amour est souffrance, où le désir est jalousie, où «le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant» ? Réminiscences de l'enfance perdue, roman d'amour impossible, satire de la haute société emprisonnée dans l'éphémère de la mode, mais aussi étude philosophique sur la mémoire involontaire : Du côté de chez Swann est tout cela à la fois.Qu'est-ce qu'un chef-d'oeuvre ? Un palais du souvenir, aux mille portes d'entrée, où chaque lecteur éprouve une émotion singulière, toujours renouvelée.
«Tout d'un coup, dans le petit chemin creux, je m'arrêtai touché au coeur par un doux souvenir d'enfance : je venais de reconnaître, aux feuilles découpées et brillantes qui s'avançaient sur le seuil, un buisson d'aubépines défleuries, hélas, depuis la fin du printemps. Autour de moi flottait une atmosphère d'anciens mois de Marie, d'après-midi du dimanche, de croyances, d'erreurs oubliées. J'aurais voulu la saisir. Je m'arrêtai une seconde et Andrée, avec une divination charmante, me laissa causer un instant avec les feuilles de l'arbuste. Je leur demandai des nouvelles des fleurs, ces fleurs de l'aubépine pareilles à de gaies jeunes filles étourdies, coquettes et pieuses. "Ces demoiselles sont parties depuis déjà longtemps", me disaient les feuilles.»
Sur la route qui mène de l'enfance à la vieillesse, des joies de Combray à la perte des illusions du Temps retrouvé, Le Côté de Guermantes signe la fin de l'adolescence. On y observe l'aristocratie parisienne à travers les yeux d'un jeune bourgeois. Deux amours impossibles et douloureuses s'y nouent : la passion du Narrateur pour Oriane de Guermantes, et celle de son ami Saint-Loup pour l'actrice Rachel. Le salon mondain est un microcosme qui révèle ce qui intéresse en profondeur le romancier : la lutte de l'intelligence contre la bêtise, la force de la confrontation des points de vue, la richesse de la fluidité des identités.
Le Côté de Guermantes est le témoignage mélancolique d'une époque en transition, qui court à la guerre de 1914. Le spectre de l'affaire Dreyfus plane sur tout le roman et en divise les acteurs. La lucidité et le pessimiste de Proust s'y expriment avec vigueur. Dénonçant le règne des apparences, le romancier met son extraordinaire talent d'observateur au service d'une satire sociale. Il fait de l'ironie une arme de combat, et de la méchanceté un art. Le Côté de Guermantes est le roman le plus drôle de toute la Recherche. Il est aussi le plus sombre : s'y jouent la maladie de la grand-mère du Narrateur, et celle de Swann. Mais par-dessus tout, c'est l'émerveillement devant le mouvement de la vie qui emporte le Narrateur et son lecteur.
À la recherche du temps perdu est une exceptionnelle comédie sociale. Le Côté de Guermantes en est la preuve éclatante.
«Les parties blanches de barbes jusque-là entièrement noires rendaient mélancoliques le paysage humain de cette matinée, comme les premières feuilles jaunes des arbres alors qu'on croyait encore pouvoir compter sur un long été, et qu'avant d'avoir commencé d'en profiter on voit que c'est déjà l'automne. Alors moi qui depuis mon enfance, vivant au jour le jour et ayant reçu d'ailleurs de moi-même et des autres une impression définitive, je m'aperçus pour la première fois, d'après les métamorphoses qui s'étaient produites dans tous ces gens, du temps qui avait passé pour eux, ce qui me bouleversa par la révélation qu'il avait passé aussi pour moi. Et indifférente en elle-même, leur vieillesse me désolait en m'avertissant des approches de la mienne.»
1898 : en pleine affaire Dreyfus, le Paris fin-de-siècle se divise ; mais c'est un tout autre enjeu qui se trame dans la cour d'un hôtel particulier. La parade amoureuse de Charlus et Jupien - un bourdon autour d'une fleur - révèle au Narrateur la «race maudite» des «hommes-femmes», survivants de Sodome et Gomorrhe. Narrateur et lecteurs deviennent voyeurs. Ainsi, dans cette après-midi printanière, nous sommes bien loin du charme bucolique de Combray et des intermittences du coeur : l'âge adulte et le trouble des désirs émergent brutalement. Honteuse ou heureuse, «l'inversion» inquiète le Narrateur. Albertine lui est-elle acquise ?Mais l'écume des choses n'est rien à côté du chagrin retrouvé au souvenir de la mort de sa grand-mère. Quelles traces laisser, comment se survivre à soi-même ? Dans ce théâtre mondain et politique, la société est, sans le savoir, en pleine transformation.Dernier volume publié du vivant de Proust, Sodome et Gomorrhe est une prouesse de lucidité, d'audace et de modernité sur la société et sur l'individu. Progrès techniques et troubles du genre annoncent un monde nouveau, qui est déjà le nôtre.
Ce court roman (deuxième partie de Du côté de chez Swann) contient tout ce qu'on aime lire : une peinture sociale, celle de l'immortel clan Verdurin et du cercle aristocratique de Mme de Saint-Euverte, dans les années 1880 ; une histoire d'amour et de jalousie, mettant en scène un dandy et une courtisane ; des réflexions sur l'art (peinture et musique) ; le comique et le tragique ; le passage du temps et le phénomène de mémoire involontaire ; enfin, un récit tout en analyse et des dialogues étincelants, et bien souvent hilarants. Proust a mis ici tout ce qu'il pense et sent sur l'amour. Roman qui condense toute la Recherche, confession intime cryptée, Un amour de Swann est un chef-d'oeuvre dont le sens est caché sous de multiples enveloppes, métamorphoses, synthèses et fusions - profondeur que n'épuise jamais la lecture.
Dès le réveil, été comme hiver, le temps parisien entre par la fenêtre du Narrateur, frontière entre le monde et l'intime. «Ce fut surtout de ma chambre que je perçus la vie extérieure pendant cette période.» Car, profitant d'une absence de sa mère, il a installé chez lui la femme aimée, Albertine, passagère clandestine qu'il tient cachée et surveille à chaque sortie, dans la crainte qu'elle lui préfère tel autre homme ou telle femme. Comment la retenir ? Faut-il dorer la cage du bel oiseau, cadeau après cadeau, dans une débauche de luxe ? Renoncer pour elle à sortir, à voyager, à vivre, en se consumant d'une jalousie sans objet ? Fou d'amour et de douleur, il se fait peu à peu le prisonnier de sa prisonnière. Tandis qu'Albertine devient la geôlière de son geôlier. L'amour est-il la valse mélancolique de deux victimes consentantes ? Dans ce magnifique roman introspectif paru en 1923, Proust développe magistralement sa vision de la jalousie, corollaire nécessaire de l'amour. Cet extraordinaire huis-clos est le récit d'une passion démesurée, qui se dévore elle-même. La Prisonnière offre l'une des plus belles réflexions de la littérature sur l'impossibilité de l'amour, pourtant éternellement recommencé.
Nouvelle édition revue en 1992
L'oubli a dévoré l'amour. Effacement de l'être aimé : voilà ce qu'il reste ici d'Albertine pour le Narrateur. Ce roman entame le solde de la Recherche. Proust y analyse les phénomènes de la rupture amoureuse et de l'épuisement de la relation sous le poids du temps. «Mademoiselle Albertine est partie» : le départ ouvre le travail du deuil. Aux tentatives de faire revenir l'être aimé, aux soupçons intermittents sur ce départ (pourquoi, avec qui ?) répond la résignation face à la mort redoutée d'Albertine. Et si elle était vivante ? L'amour, lui, ne l'est plus. L'oubli a déjà fait son travail. Voilà Albertine remplacée par le souvenir et le divertissement du voyage. Elle laisse le Narrateur face à lui-même, face à sa solitude, face à la nécessité d'exister autrement. Albertine disparue finit par être captive de l'oubli. L'emprisonnement dans une relation malheureuse n'est-il pas déjà une mort ? L'amour serait-il une impasse ? Ne resterait alors que la vie sociale et le cabinet de travail, qui seront l'issue du Temps retrouvé. À travers cette superbe étude clinique de la rupture amoureuse, menée au moment du développement de la psychanalyse et de la théorie freudienne, Proust nous montre la force de l'oubli. Comme son contemporain Apollinaire, il nous murmure : «Ni temps passé / Ni les amours reviennent».
Avant d'être le génial auteur de la Recherche, Proust écrivit des nouvelles inspirées de sa jeunesse dans les salons mondains, entre découverte du désir et amour qui fuit, frivolité et profondeur, apparence et rivalité. C'est là qu'il met à l'épreuve son style, ses images, ses intuitions. Ce sera, en 1896, Les Plaisirs et les Jours. Mais peu avant la publication du recueil, Proust choisit d'en retirer quelques nouvelles, qui restèrent secrètes durant plus d'un siècle. Était-ce parce qu'il s'y confiait, presque sans dissimulation, sur son homosexualité, vécue comme une malédiction ? Voici ces textes, fragiles, imparfaits, inaboutis, qui auraient si bien pu ne pas nous parvenir, et pour cela si émouvants. On y lit, en miniature, toutes les obsessions qui seront celles de la Recherche : l'amour malheureux, la fuite du temps, la satire sociale. En une phrase, une fulgurance, le futur Proust est déjà là. En nous faisant entrer comme jamais dans sa conscience, Proust nous ouvre son atelier de travail, son secret laboratoire, et le journal intime qu'il n'a pas écrit.
Suivi de : « Aux sources de la Recherche du temps perdu », notes de travail de Proust.
« Il aime les femmes ignobles qu'on ramasse dans la boue et il les aime follement ; [...] et non seulement il les aime follement, mais il n'aime qu'elles. La femme du monde la plus ravissante, la jeune fille la plus idéale lui est absolument indifférente. » Marcel Proust décline dans ce recueil les motifs qui lui sont chers : charmes et illusions de l'amour, splendeurs et misères des mondanités, nature fantasmée, nostalgie.
Quatre trésors indispensables pour qui cherche à lire ou relire À la recherche du temps perdu.
Deuxième partie de Du côté de chez Swann, paru en 1913 et parfois pris à tort pour le volume inaugural d'À la recherche du temps perdu, Un amour de Swann s'est imposé dans la seconde moitié du XXe siècle comme une oeuvre à part entière. Proust, qui avait lui-même qualifié ce chapitre de « plus public » que « Combray », y raconte l'histoire d'amour ternie par la souffrance et la jalousie de Charles Swann et d'Odette de Crécy. D'abord indifférent à l'égard de celle que le grand monde voit comme une « cocotte », Swann finit par s'éprendre d'Odette jusqu'à l'obsession et connaître les plus sombres tourments de l'amour malheureux. Dans ces pages où la justesse du propos et la finesse des analyses ne manquent pas de surprendre, Proust esquisse derrière le personnage de Swann un double de son narrateur, mais nous livre aussi une profonde réflexion sur le sentiment amoureux, le désir, la jalousie, non sans rayer la société bourgeoise de son époque.
Édition de Matthieu Vernet et Francesca Lorandini.
Vaste continent à explorer, la correspondance de Proust constitue un pont vital entre sa forteresse intime et la vie extérieure. Oscillant entre conversations mondaines et introspections profondes, ses lettres racontent la vie d'un écrivain qui a su faire de la faiblesse une vocation littéraire sans pareille et de la maladie une ressource de génie.
Texte antérieur à l'écriture de la Recherche, Journées de lecture fut composé, dans sa première version, comme une préface à un ouvrage de l'auteur anglais John Ruskin. Y éclôt toutefois une poétique infiniment singulière, Marcel Proust esquissant là sa propre conception de l'expérience de lecture, et avec elle, déjà, de celle du temps qui passe. «Ce qui diffère essentiellement entre un livre et un ami, ce n'est pas leur plus ou moins grande sagesse, mais la manière dont on communique avec eux...»
Philippe Delerm nous offre une merveilleuse plongée dans À la recherche du temps perdu, oeuvre qui l'a nourri et a contribué à façonner l'écrivain qu'il est devenu. À travers soixante extraits de son choix qu'il commente d'un ton à la fois amusé et profondément admiratif, se révèlent autant d'instantanés exhalant toute la saveur et la richesse de l'oeuvre proustienne. L'image du roman fleuve intimidant et hors d'atteinte laisse alors place à des trésors d'humour, de tendresse et d'irrévérence : un Proust sensible et inattendu, qui donne envie de se plonger avec délectation dans La Recherche !
« S'arrêter çà et là tout en suivant le fil du texte aux endroits que l'on préfère ne paraît pas antinomique avec le projet proustien. C'est même une manière de mettre en relief la modernité de Proust ».
Philippe Delerm
«Nouvelles mondaines, histoires tendres, vers mélodiques, fragments où la précision du trait s'atténue dans la grâce molle de la phrase, M. Proust a réuni tous les genres et tous les charmes. Aussi les belles dames et les jeunes gens liront avec un plaisir ému un si beau livre.» Léon Blum «Il n'est pas simple de louer M. Marcel Proust : son premier livre, ce Traité des Plaisirs et des Jours, qu'il vient de publier, marque une si extrême diversité de talents que l'on peut être embarrassé d'avoir à les noter tous à la fois chez un aussi jeune écrivain. Il le faut cependant. Il faut même avouer que ces dons si variés ne se contrarient point, mais, au contraire, forment un assemblage heureux, brillant et facile.» Charles Maurras
Tome le plus sulfureux de la Recherche du temps perdu, narrant notamment les passions inverties du baron de Charlus.
Le volume s'ouvre sur la scène la plus audacieuse de l'oeuvre, lorsque le Narrateur assiste à la parade nuptiale et à l'accouplement du baron de Charlus vieillissant avec le tailleur Jupien dans la cour de l'hôtel de Guermantes.
C'est le prélude à une étude brûlante sur la descendance innombrable des habitants des cités bibliques à laquelle appartiennent presque tous les personnages de La Recherche. Ducs, princes, aristocrates et bourgeois, domestiques et gens du peuple, entrent dans l'immense colonie alors clandestine. Albertine n'y échappe pas, lesbienne secrète, dont les moeurs sont le motif principal de la jalousie névrotique de Marcel. Mais aucun vice, aucune malédiction ne saurait leur épargner l'enfer de la passion et ses terribles figures de la Fureur, la Curiosité, l'Envie, la Haine, l'Orgueil, l'Épouvante , le supplice proustien de l'Amour transfiguré par le miracle de l'art, de l'intelligence et de la poésie.
Cet ouvrage rassemble :
Sodome et Gomorrhe I, Sodome et Gomorrhe II
À la fin de l'automne 1908, Proust rentre de Cabourg épuisé. Depuis longtemps, il a renoncé à son oeuvre. Profitant d'un répit que lui laisse sa maladie, il commence un article pour Le Figaro : «Contre Sainte-Beuve». Six mois plus tard, l'article est devenu un essai de trois cents pages. Conversant librement avec sa mère, l'auteur entrelace, autour d'une réflexion sur Sainte-Beuve les souvenirs personnels, les portraits d'amis, les impressions de lecture. Voici le château de Guermantes : voici M. de Quercy et Mme de Cardaillac, grands lecteurs de Balzac, mais qui ressemblent à s'y méprendre à Charlus et à Gilberte. Sans le savoir, Proust venait de libérer son génie. Proust ne voulait pas qu'on mît des idées dans un roman. Toutes les analyses qu'il a écartées d'À la recherche du temps perdu, on les trouvera ici. Elles confirment que Proust, le plus grand romancier de son siècle, pourrait en être aussi le plus grand critique.
«Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui, semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartions comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin : le jeu pour lequel un ami venait nous chercher au passage le plus intéressant, l'abeille ou le rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux de la page ou à changer de place, les provisions de goûter qu'on nous avait fait emporter et que nous laissions à côté de nous sur le banc, sans y toucher, tandis que, au-dessus de notre tête, le soleil diminuait de force dans le ciel bleu, le dîner pour lequel il avait fallu rentrer et pendant lequel nous ne pensions qu'à monter finir, tout de suite après, le chapitre interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que l'importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avec amour) que, s'il nous arrive encore aujourd'hui de feuilleter ces livres d'autrefois, ce n'est plus que comme les seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l'espoir de voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n'existent plus.»
Profondément épris de la belle Françoise Seaune, Honoré de Tenvres s'émeut sans cesse de cet incroyable amour. Jusqu'au jour où on lui dit qu'elle a la réputation d'être une femme facile. Bouleversé, il découvre brutalement les tourments de la jalousie... Mondains, voluptueux et cruels, les personnages de ces nouvelles de Proust virevoltent avec un raffinement qui annonce les héros d'À la recherche du temps perdu.
«J'avais eu le soupçon l'an passé que le jour de Pâques n'était pas différent des autres, qu'il ne savait pas qu'on l'appelât Pâques, et dans le vent qui soufflait, j'avais cru reconnaître une douceur que j'avais déjà sentie, la matière immuable, l'humidité familière, l'ignorante fluidité des anciens jours. Mais je ne pouvais empêcher les souvenirs des projets que j'avais faits l'autre année de donner à la semaine de Pâques quelque chose de florentin, à Florence quelque chose de pascal.» Aubépines printanières, jeux d'enfants sur les Champs-Élysées, «noms de pays»... Dans ces six «chroniques» parues avant le premier tome d'À la recherche du temps perdu, s'esquissent et affleurent quelques grands motifs et pages célèbres de l'oeuvre proustienne.
Mme Van Blarenberghe a trouvé la mort le 24 janvier 1907. Le coup fatal, c'est son propre fils qui le lui a porté avant de se suicider. Rapporté dans Le Figaro, ce "drame de la folie" attire vivement l'attention de Marcel Proust. Cette dame était amie de ses parents.
Lui-même avait reçu une lettre touchante du fils en réponse à des condoléances qu'il avait adressées lors de la mort du père. Proust envoie un article au journal. Loin de s'outrager d'un tel crime, il compare cet acte à la geste de la tragédie grecque. Guidé par l'impulsion, il adopte un point de vue subjectif et oeuvre par réminiscence : le souvenir de ce fils le conduit à reconsidérer le présent. Celui qui s'est aussi donné à lui-même la mort est sous sa plume non pas un assassin sordide mais un héros sublime.
À côté d'un livre comme Les Fleurs du mal, comme l'oeuvre immense d'Hugo paraît molle, vague, sans accent ! Hugo n'a cessé de parler de la mort, mais avec le détachement d'un gros mangeur, et d'un grand jouisseur. Peut-être, hélas ! faut-il contenir la mort prochaine en soi, être menacé d'aphasie comme Baudelaire, pour avoir cette lucidité dans la souffrance véritable, ces accents religieux dans les pièces sataniques :
Il faut que le gibier paye le vieux chasseur..
Avez-vous donc pu croire, hypocrites surpris, Qu'on se moque du maître et qu'avec lui l'on triche, Et qu'il soit naturel de recevoir deux prix, D'aller au Ciel et d'être riche ?