Partant de l'analyse des interdits misogynes, solides remparts d'une supériorité masculine dont la réalité paraît sérieusement ébranlée, Virginia Woolf définit les conditions d'existence et la spécificité de la création pour les femmes. Il faut d'abord « une chambre à soi », dont la portée va bien au-delà du matériel.
« Il suffit d'entrer dans n'importe quelle chambre de n'importe quelle rue pour que se jette à votre face toute cette force extrêmement complexe de la féminité... Car les femmes sont restées assises à l'intérieur de leurs maisons pendant des millions d'années, si bien qu'à présent les murs mêmes sont imprégnés de leur force créatrice.» V.W.
À Londres, ce soir, Clarissa Dalloway offre une fête ! La haute société anglaise a intérêt à s'amuser. Or, de vieilles connaissances ressurgissent des limbes et exhument des souvenirs comme on ouvre une boîte de Pandore. Ce mois de juin d'après-guerre n'en est pas moins radieux. Quant à Lucrezia, déracinée de son Italie natale, elle tente de retrouver son mari dans la froide Angleterre.
Septimus est là, mais absent. Pâle vétéran décoré, le jeune homme reste hanté par les tranchées et les bombes. Parfois, il entend la voix d'un de ses amis morts au front.
« Elle ne dirait plus jamais de personne, il est ceci, il est cela. Elle se sentait très jeune ; et en même temps, incroyablement âgée. Elle tranchait dans le vif, avec une lame acérée ; en même temps, elle restait à l'extérieur, en observatrice. Elle avait, en regardant passer les taxis, le sentiment d'être loin, loin, quelque part en mer, toute seule ; elle avait perpétuellement le sentiment qu'il était très, très dangereux de vivre, ne fût-ce qu'un seul jour. » V. W.
Dans les années 1930, Maya vit une enfance de pauvreté et de ségrégation à Stamps, dans l'Arkansas. Élevée avec son frère par leur grand-mère, elle désire retrouver la figure gracieuse de leur mère. Mais les retrouvailles s'entachent d'une nouvelle trahison : Mr. Freeman, son beau-père, viole la fillette. Quand ils l'apprennent, ses oncles assassinent le coupable relâché par la justice, traumatisme sur le traumatisme qui enferme Maya dans un mutisme profond. Qui pouvait deviner que cette petite fille blessée, muette, qui se méfie du pouvoir des mots et découvre en silence la lecture, deviendrait l'une des plus grandes voix de la littérature américaine ?
« Cette misérable petite confrontation n'avait aucun rapport avec moi, mon moi profond, pas plus qu'avec cette employée idiote. L'incident faisait partie d'un cauchemar à répétition, concocté des années auparavant par des Blancs stupides et qui revenait éternellement nous hanter tous. La secrétaire et moi étions comme Hamlet et Laërte dans leur scène finale où, sous le prétexte du tort causé par un ancêtre à un autre, nous étions condamnées à nous battre en duel jusqu'à la mort. » M. A.
C'est en 1847 que Charlotte, l'aînée des trois soeurs Brontë, publia Jane Eyre. Son succès fut immédiat et immense. La petite orpheline, privée d'affection, élevée dans une institution pour adolescentes pauvres, entrant comme gouvernante au château de Thornfield, est en effet une des figures les plus fascinantes du roman romantique. Et Rochester, qu'elle aime et dont le destin la sépare, est sombre, sarcastique, le double du héros né de l'imagination de la soeur cadette, Emily, dans Les Hauts de Hurlevent. L'amour et l'indépendance de la jeune fille, les préséances sociales et les revanches sur le passé, l'attirance pour les idéaux généreux, les messages de la passion triomphant du temps et de l'espace, les flammes de la folie, sont quelques-uns des thèmes qui se détachent d'une observation à la Dickens et sont emportés par un puissant souffle romanesque.
Mick, garçonne passionnée et ambitieuse, erre en solitaire dans les rues du sud profond des États-Unis, happée par la musique qui s'échappe des fenêtres. Au café de Biff, Mick observe John Singer, le fascinant muet au calme olympien. D'autres personnages aussi originaux qu'attachants évoluent autour d'eux, se croisent sans se rencontrer. Ils se regardent avec une curiosité pleine de tendresse face à la cruauté de la vie et à la pauvreté, portés par leurs rêves et leur soif de justice.
« Au bout de quelque temps, Mick sut quelles maisons captaient les émissions qu'elle voulait entendre. Une maison, notamment, recevait tous les bons orchestres. Le soir, elle y venait, et se glissait dans le jardin obscur pour écouter. Cette maison était entourée de superbes massifs, et Mick s'asseyait sous un buisson près de la fenêtre. Et quand c'était terminé, elle restait dans le jardin, les mains dans les poches, à réfléchir longuement. » C. McC.
Virginia Woolf, ici, va droit aux faits avec la plus redoutable précision. Femme, elle reconnaît, décèle et dénonce en précurseur ce scandale d'autant plus occulté qu'il s'inscrit partout, s'étale avec une évidence majestueuse : le racisme ordinaire qui réduit les femmes à l'état d'êtres minoritaires, colonisés. Scandale politique. Dictature qui annonce toutes les autres.
« Derrière nous s'étend le système patriarcal avec sa nullité, son amoralité, son hypocrisie, sa servilité. Devant nous s'étendent la vie publique, le système professionnel, avec leur passivité, leur jalousie, leur agressivité, leur cupidité. L'un se referme sur nous comme sur les esclaves d'un harem, l'autre nous oblige à tourner en rond... tourner tout autour de l'arbre sacré de la propriété. Un choix entre deux maux... » V.W.
Fin 1902, un jeune homme de 20 ans et aspirant poète envoie ses vers à son aîné Rainer Maria Rilke et sollicite son jugement : ses poèmes sont-ils assez bons pour prétendre être poète ? Le monstre sacré n'a que 27 ans et a la rare humilité de prendre de son temps pour lui répondre. Avec déjà la plume d'un vieux sage, il lui dispense ses conseils, qui dépassent les considérations de forme et lui proposent d'examiner en lui sa vocation. Au lieu de professeur en prosodie, il se fait guide spirituel.
« Vous me demandez si vos vers sont bons... Votre regard est tourné vers le dehors ; c'est cela qu'il ne faut plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n'est qu'un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s'il pousse ses racines au plus profond de votre coeur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire ? » R. M. R.
La petite Alice s'ennuie à côté de sa grande soeur, qui s'occupe à lire un livre probablement soporifique, puisque sans images et sans dialogues. Alors, quand un lapin blanc à gilet lui passe sous le nez, consulte sa montre de gousset et s'exclame qu'il est en retard, Alice n'en revient pas.
Elle s'engouffre à sa suite dans le terrier obscur sous la haie ! Commence son périple dans l'univers onirique d'un Chapelier fou qui prend le thé, du chat du Cheshire au sourire surréaliste et d'une Reine de Coeur sans coeur...
« Elle sentit qu'elle s'endormait pour de bon et elle venait de commencer à rêver qu'elle marchait avec Dinah, la main dans la patte, en lui demandant très sérieusement "Allons, Dinah, dis-moi la vérité : as-tu jamais mangé une chauve-souris ?" quand brusquement, bing ! bing !... elle atterrit sur un tas de feuilles mortes et sa chute prit fin. » L. C.
Le texte français, Alice au pays des merveilles, traduit de l'anglais par Jacques Papy est paru aux Éditions Jean-Jacques Pauvert (1961).
Musique : chant par Arielle Dombasle et harpe par Pascale Schmitt. Chansons : "As Alice" (anonyme), "The Three Ravens" (Thomas Ravenscroft), "Oh no John" (Somerset), "Men, men" (Purcell) et "Searching for Lambs" (Somerset).
Une femme bourgeoise, Irène, trompe par ennui et curiosité son époux, un des plus éminents avocats de la ville. Peu à peu, l'angoisse d'être surprise se referme sur elle comme une eau qui monte. Un jour, une femme rustre l'accuse d'adultère à la sortie de chez le jeune pianiste, son amant. Dès lors, Irène vit dans une panique aiguë, constante, qu'elle s'efforce de masquer.
« Lorsque Irène, sortant de l'appartement de son amant, descendit l'escalier, de nouveau une peur subite et irraisonnée s'empara d'elle. Une toupie noire tournoya devant ses yeux, ses genoux s'ankylosèrent et elle fut obligée de vite se cramponner à la rampe pour ne pas tomber brusquement la tête en avant... Quand elle s'en retournait chez elle, un nouveau frisson mystérieux la parcourait auquel se mêlaient confusément le remords de sa faute et la folle crainte que dans la rue n'importe qui pût lire sur son visage d'où elle venait et répondre à son trouble par un sourire insolent. » S. Z.
« Il serait faux d'affirmer que la ville entière participa à cette fête satanique. Quelques personnes sensées estimèrent que Miss Amelia était suffisamment riche pour ne pas se donner le mal d'assassiner un vagabond qui transportait de la camelote. Il existait même dans la ville trois âmes charitables qui refusèrent d'instinct de croire à ce crime, malgré l'intérêt et l'immense scandale qu'il susciterait. » C.McC., « La ballade du café triste ».
Quand la gigantesque Miss Amelia accepte dans sa masure un gringalet bossu qui se prétend son parent, les rumeurs s'enflamment comme une traînée de poudre. Va-t-elle l'abattre pour le détrousser ? Son magasin rouvre, transformé en café. Il devient un lieu incontournable pour la clientèle que Cousin Lymon distraie de sa vie misérable. Les deux êtres que tout oppose s'associent corps et âmes, pour le meilleur et pour le pire. « La ballade du café triste », « Wunderkind », « Le jockey », « Madame Zilensky et le roi de Finlande », « Celui qui passe », « Un problème familial » et « Une pierre, un arbre, un nuage » : Carson McCullers a élaboré entre 1936 et 1951 ce recueil de sept nouvelles, où l'alcool et la musique coulent à flots.
« Parce qu'au début et au milieu je vais vous raconter des histoires sur les animaux que j'ai eus, pour vous montrer que je ne pourrais pas avoir tué les poissons autrement que sans le faire exprès. J'ai bon espoir qu'à la fin de ce livre vous me connaissiez mieux et que vous m'accordiez le pardon que je demande pour la mort de deux «tyrougets» - c'est comme ça qu'on les appelait à la maison, «tyrougets». » C. L.
Rappelant les légendes traditionnelles et les contes initiatiques, les cinq histoires de ce recueil mêlent le monde de l'enfance aux destins d'animaux. Ces derniers se voient pris dans un tourbillon d'évènements aussi anodins que mystérieux, inspirés de la vie quotidienne. Dans un mélange exquis d'humour et de simplicité, de douce ironie et d'amour maternel, la grande écrivaine brésilienne écrit pour son propre fils Paulo, et à travers lui pour tous les enfants de la Terre, avec à ses côtés leur chien Ulysse, qui saute joyeusement de la réalité à la fiction.
Cloîtrée dans une maison de campagne isolée et tenue à l'écart de toute activité par son mari médecin, une jeune mère dépressive après la naissance de leur enfant brave en secret l'interdiction qu'il lui pose d'écrire. Désoeuvrée, elle sombre dans la fascination pour l'affreux papier peint de la chambre à coucher. Elle finit par y voir, en miroir, une femme séquestrée derrière les arabesques...
« Pendant longtemps, je n'ai pas compris ce qu'était cette forme dérobée derrière le motif, mais maintenant, je suis certaine que c'est une femme. À la lumière du jour, elle est calme, immobile. J'imagine que c'est le motif qui la bride. C'est si troublant... Et je m'y absorbe des heures... Parfois, je me dis qu'elles sont des multitudes, parfois qu'elle est seule. Elle fait le tour en rampant à une vitesse folle, ébranlant chaque motif. Elle s'immobilise dans les zones de lumière et, dans les zones d'ombre, elle s'agrippe aux barreaux qu'elle secoue avec violence. » C. P. G.
« La vitre tintait sous le vent, des nuages gris et bas - des nuages de la ville, des nuages de pierre - passaient dans le ciel - comme s'ils étaient de retour, ces nuages étouffants de l'été que pas un orage n'avait transpercés. Sophia sentit que ces nuages n'étaient pas au dehors mais en elle, que depuis des mois ils s'amoncelaient comme des pierres, et qu'à présent, pour ne pas être étouffée par eux, il fallait qu'elle brise quelque chose en mille morceaux, ou bien qu'elle parte d'ici en courant, ou encore qu'elle se mette à hurler... » E.Z.
Créé au Festival des correspondances de Grignan Adaptation : Anne Rottenberg « Parmi les papiers qui se trouvent sur la table, à la place des croquis habituels, j'ai écrit d'une écriture que je ne reconnais pas « Il est six heures du matin et Diego n'est pas ici. » Sur une autre feuille blanche, [...] je regarde, surprise, mon griffonnage « Il est huit heures du matin, je n'entends pas Diego. » [...] Et plus bas, sur la même feuille « Il est onze heures du matin, [...] Diego n'est définitivement plus là, je pense qu'il ne reviendra jamais et je tourne dans la pièce comme quelqu'un qui aurait perdu la raison »» E.P.
Sur le sort de cette femme sans charme et sans esprit du Nord-Est brésilien, le narrateur de L'heure de l'étoile semble s'attendrir autant que perdre patience. Autour d'elle gravitent des avides et des ambitieux qui ne lui donneront rien.
En observateur distant, l'auteur fictif s'acquitte d'une lourde tâche : faire le récit de cette vie misérable et sans amour, qui tiendrait en un souffle. Il révèle l'absurdité de son existence, mais aussi le joyau paradoxal qui se cache derrière l'aspect insignifiant de la vie.
« Avait-elle le sentiment de vivre en pure perte ? C'est chose impossible à savoir. Mais je ne crois pas. Une seule fois, elle se posa la tragique question : qui suis-je ? Elle en fut tellement ahurie que ses réflexions s'arrêtèrent là. Mais moi, qui ne parviens pas à m'identifier à elle, je sens que je vis en pure perte. Je mène une existence parfaitement gratuite ; je règle ponctuellement mes notes d'électricité, de gaz et de téléphone. Mais elle, il lui arrivait parfois de s'offrir une rose, après avoir touché son salaire. Tout ceci arrive durant cette année en cours et je ne terminerai cette difficile histoire qu'à bout de force, mais ne déserterai pas. » C. L.
Ingeborg Bachmann a près de 30 ans lorsqu'elle écrit cette nouvelle. Le personnage qu'elle met en scène a vécu jusqu'ici « sans s'en faire ». « Jamais il n'a pensé que pût être prononcé le mot décisif, et que le jour viendrait où il devrait montrer ce qu'il savait faire et penser, où il serait forcé d'avouer ce qui lui tient vraiment à coeur. » Le jour vient pour lui de faire l'expérience de la douleur. Puis, de brisure en brisure, celui qui va sur ses trente ans arrive enfin au terme de son accomplissement :
« Étant très jeune, il avait souhaité mourir prématurément. Mais maintenant, il voulait vivre... Maintenant, il mettait sa foi en lui-même quand il faisait quelque chose ou quand il s'exprimait... Et il avait confiance en des choses qu'il n'était pas besoin de prouver : les pores de sa peau, le goût salé de la mer, l'air fruité, tout ce qui était particulier. » I.B.
Ancien acteur shakespearien, nostalgique d'un grand théâtre perdu, le personnage de Simplement compliqué s'autorise une fois par mois à porter la couronne de Richard III, le rôle de sa vie. Souvenirs de théâtre, préoccupations matérielles et considérations misanthropes rythment le discours de celui qui s'est définitivement séparé de ses contemporains : seule lui rend visite une petite fille, qui vient lui apporter du lait tous les mardis et vendredis, et dont la présence perturbe à peine le flot de paroles du vieil homme. Triste et grotesque, il est désormais le spectateur d'une vie qui s'est arrêtée.
Au cours d'une traverse?e transatlantique sur un paquebot une femme tombe accidentellement a` la mer. Tandis qu'elle flotte a` la de?rive elle s'en remet a` sainte Rita, avocate des causes de?sespe?re?es, et lui fait une promesse. Si elle re?chappe a` la noyade, elle e?crira l'histoire de sa vie.
J'ai nage? ou fait la planche durant huit heures, en espe?rant que le bateau revienne me chercher. Je me demande parfois comment j'ai pu nourrir cet espoir. Je l'ignore vraiment. Au de?but j'avais tellement peur que j'e?tais incapable de penser, puis je me suis mise a` penser de fac?on de?sordonne?e : pe^le-me^le me venaient a` l'esprit des images d'institutrices, de tagliatelles, des films, des prix, des pie`ces de the?a^tre, des noms d'e?crivains, des titres de livres, des immeubles, des jardins, un chat, un amour malheureux, une chaise, une fleur dont je ne me rappelais pas le nom, un parfum, un dentifrice, etc. O^ me?moire, combien tu m'as fait souffrir !
Lorsqu'elle met fin à ses jours le 11 février 1963 à Londres, Sylvia Plath laisse derrière elle le manuscrit de son second recueil de poèmes, Ariel. Considéré comme son chef-d'oeuvre, il sera publié en 1965. Inspiré par l'obsession récurrente de la mort, l'impossible deuil du père et la trahison de l'homme aimé, Ariel livre une parole charnelle, haletante et sombre.
« Je suis habitée par un cri.
Chaque nuit il sort à tire d'aile Cherchant, de ses crochets, Quelque chose à aimer ». S.P.
« Peut-on nommer son propre sang ? Et décrire la première blessure, ce moment où, paraissant au jour, le sang se refuse encore à la vie ? À supposer qu'on se rappelle sa circoncision, pourquoi cet acte de mémoire serait-il une confession ? L'aveu de quoi, au juste ? Et de qui ? À qui ?
Rôdant autour de ces questions, essayant, comme au clavier, une voix juste au-dedans de moi, je tente de dire de longues, [...] phrases, et de les murmurer au plus près de l'autre qui pourtant les aspire, soupire, expire, les dicte même. Cette diction est aussi une dictée. Plusieurs voix résonnent en une, dès lors, elles se croisent, elles se disputent même une parole finalement torsadée.
Telle respiration ne scande pas n'importe quel temps : ce fut celui d'une lente agonie où, comme on dit, d'un dernier souffle. Durant de longs mois, pendant que ma mère expirait, j'ai tourné autour d'un événement introuvable qui fut le sien autant que le mien, je l'ai entouré, sans doute aussi contourné. » J.D.
« À ma Chère Fille Mary Linda qui j'espère me pardonnera. » Au crépuscule de sa vie, Elsie écrit à sa fille ; de cette correspondance émergent d'anciennes blessures : drame familial, secrets enfouis et alcoolisme de la mère après la mort du père. J.C.O.
« J'ai eu bien souvent envie de te prendre la main, ma chérie, et de te dire la vérité du fond du coeur. Pas ce que tu m'as déjà pardonné mais quelque chose de plus. Quelque chose que personne n'a deviné, depuis tout ce temps ! Mais je ne l'ai pas fait parce que j'ai eu peur que tu ne m'aimes plus. C'est pour cela que j'étais si silencieuse quelque fois, après la chimio surtout. » J.C.O.
Ces deux nouvelles furent écrites en 1896 et 1898, juste avant et pendant la relation amoureuse de Lou Andreas-Salomé avec Rilke. Un même thème les parcourt : le choix pour une femme de la liberté, sans réserve, au mépris du danger - liberté d'aimer ou de ne pas aimer, hors conventions, liberté de créer - et la traversée des chemins qui y mènent. Traversée de ce qui tue la passion et représente une tentation masochiste pour les femmes : le mariage.
« Max Werner s'assit au hasard à côté d'une jeune Russe qu'il voyait pour la première fois, - il ne comprit pas son nom compliqué lors de la présentation, mais on l'appelait tout simplement, quand on lui parlait, « Fénia » ou « Fénitchka ». Dans sa petite robe noire de nonne, qui enserrait discrètement et d'une manière comiquement peu parisienne sa taille moyenne et devait être le costume favori des étudiantes zurichoises, elle ne lui fit tout d'abord aucune impression particulière. [...] Seuls lui plurent, en Fénia, les intelligents yeux bruns qui jetaient sur toute chose un regard ouvert et clair. »
"Échos" est une nouvelle de l'un des ultimes recueils de Karen Blixen, "Last Tales, Derniers contes d'hiver". Il a été écrit en 1957, en anglais comme la plupart des oeuvres de l'écrivaine danoise.
« Au cours de ses errances, Pellegrina Leoni, la diva qui avait perdu la voix, s'en vint dans une petite montagne non loin de Rome. Cela se passait au moment où elle avait fui Rome et son amant, Lincoln Forner. La grande passion qu'il lui portait menaçait de la placer et de la maintenir fermement dans une existence bien établie et bien stable.» K.B.
Pellegrina est persuadée que « la vie est dure », mais que Dieu, de temps à autre, se permet un « da capo », un recommencement, une résurrection. Un jour, elle entend dans l'église de ce petit village un enfant chanter le magnificat. N'est-ce pas là sa propre voix, celle qui lui a été enlevée ? Ce garçonnet, Emanuele, qui, bébé, a échappé à une catastrophe, est peut-être le Phénix renaissant de ses cendres. Et elle décide de le faire travailler.
Gradiva, celle qui avance. Gradiva rediviva, celle qui réapparaît à l'heure de midi dans les ruines de Pompéi et qui va donner vie, forme, objet au désir de Norbert Hanold, jeune archéologue. Gradiva, fantaisie pompéienne, écrite par Wilhelm Jensen en 1903 est surtout connue par le texte de Freud publié en 1907. Désireux de percer le secret de la création artistique, il analyse le texte de Jensen. « Nous brûlons de savoir, écrit-il, si une guérison du genre de celle que Zoé/Gradiva réalise chez Hanold est compréhensible ou, tout au moins possible, et si le romancier a aussi bien saisi les conditions de la disparition du délire que celles de sa genèse. »