Azucena, mince et brune quinqua aux chaussures rouges, semble être chez elle dans le Train bleu reliant Nice et Paris. Elle y dort, y fait des rencontres, s'y protège des menaces parfois lourdes, y agit, aussi, réalisant des missions secrètes. C'est qu'à Nice, elle est au coeur de plusieurs groupes constitués en réseaux informels, amitiés, résistances. Avec les Paranos, elle distribue dans un stand près de la gare, légumes et graines bio aux abonné.e.s, comme s'il s'agissait de contrebande ou de produits illicites. Avec Luna, elle exfiltre des chiens ayant fui leurs maîtres autoritaires ou violents pour commencer une nouvelle vie. Tout autour d'elle gravite une foule hétéroclite, un rien fantasque, de doux rêveurs qui ne renonceraient pour rien au monde à la mise en pratique de leurs idéaux : Gouel, le marin irlandais, chanteur des rues, Alex, le poète et «prince des poubelles», Manu, Monique, Nadette, un cheminot syndicaliste, Siranouche ou encore la Chienne noire, son amie... Quelques-uns sont, tout comme elle, un peu cabossés, mais trouvent dans les liens qui les unissent des raisons d'espérer. Parce que l'espoir n'est pas une option. Tous, comme autant de fourmis invisibles et obstinées creusant des tunnels pour faire déraper, sans violence, notre vieux monde, oeuvrent ainsi par l'exemple plutôt que par le discours, à en créer un nouveau, plus libre et lumineux, plus solidaire et plus juste.
À l'orée du XXIe siècle, les femmes transmettent la vie par ectogenèse, sans le concours des hommes, et la civilisation du Losange maîtrise les voyages dans l'espace. Ariane, la narratrice, participe à une mission spatiale destinée à explorer la planète Amande. Sur place, les mystères se succèdent et les péripéties s'enchaînent, de l'auscultation de la planète à la découverte d'une société futuriste bien particulière. Françoise d'Eaubonne, de sa plume foisonnante à l'humour acéré, fait de son space-opéra un magnifique roman symbolique et poétique. Le Satellite de l'Amande, premier tome de La Trilogie du Losange, et sa suite Les Bergères de l'Apocalypse qui paraît simultanément, frappent par leur caractère visionnaire qui percute notre présent. Françoise d'Eaubonne, première écoféministe française, a vu plusieurs de ses oeuvres rééditées depuis 2020. Elle fera beaucoup parler d'elle en cette année 2022 avec, notamment, un colloque international qui lui sera consacré en novembre 2022, organisé à l'IMEC (Institut Mémoire de l'Édition Contemporaine). Cette édition est enrichie d'une préface d'Élise Thiébaut, autrice d'une biographie de référence, L'Amazone verte (Éditions Charleston, coll. Les Indomptées, 2021). Elle nous ouvre les portes de l'univers de Françoise d'Eaubonne, en nous éclairant sur les éléments de contexte de cette oeuvre très originale. Avant la publication prochaine du troisième tome de cette trilogie, Un bonheur viril, à paraître en octobre 2022.
« Une guerre pareille, de cette dimension, si elle avait été le fait des hommes, aurait laissé la terre exsangue. Mais comme elle fut menée et gagnée par des femmes, la cicatrisation se fit à une allure foudroyante. Les arts reprirent leur cours en même temps que les collèges se relevaient de leurs ruines et que la production des produits de première nécessité, accrue à une cadence galopante, se fixait pour but la fin du contingentement la plus rapide possible, pour limiter les dégâts moraux du marché noir. » F.d'E.
Au retour de l'expédition sur le Satellite de l'Amande (tome I de La Trilogie du Losange), Ariane amorce une enquête historique sur la guerre des sexes ayant conduit à la société gynocentrique, Anima, dans laquelle elle vit. Les fécondateurs masculins ne sont plus, d'où la question entêtante d'Ariane : « les enfants mâles, qu'avez-vous fait d'eux ? ». À contre-courant des discours officiels, la narratrice interroge cette société et ses mythes, retraçant une histoire apocalyptique qui fait largement écho à ce que nous vivons aujourd'hui. On découvre avec plus de profondeur et de détails l'univers prolifique posé par le tome I de la trilogie, Le Satellite de l'Amande. Dans cette épopée délirante à l'humour corrosif, Françoise d'Eaubonne, mêle avec finesse les genres, de la science-fiction à l'essai en passant par l'utopie et le postapocalyptique.
La présente édition est enrichie d'une postface de Nicolas Lontel, spécialiste de l'autrice, pour comprendre l'oeuvre de Françoise d'Eaubonne que l'on redécouvre actuellement, et mettre en perspective les trois tomes de sa saga, La Trilogie du Losange. Un bonheur viril, le troisième tome inédit, conservé à l'IMEC (Institut Mémoire de l'Édition Contemporaine), paraîtra en octobre 2022 afin de parfaire une année où l'écrivaine est mise à l'honneur dans de nombreux évènements.
« Mes filles, mes reines, mes Mères ! Moi, l'enfant sans mère, l'enfant de cinquante ans, je vous remets ma main de guide : guidez-la. Pourquoi craindre que je crache sur vous ? [...] Je vois l'an 10, et les Terreurs, et les Années Rouges ; je vois danser crever hurler flamber dévorer saigner fracasser siffler fendre trouer piétiner mutiler déchiqueter trépigner énucléer crépiter raser édenter galoper embraser dénuder rugir enfouir éventrer rougir et jouir l'Apocalypse de la lutte de sexes. Une seule question, Mères : les enfants mâles qu'avez- vous fait d'eux ? » F.d'E.
« Je suis féministe, je voudrais faire quelque chose de concret mais je ne sais pas par où commencer. Vous avez des conseils ? ».
En voyant ce genre de message s'accumuler sur leurs réseaux sociaux, les deux activistes féministes Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles ont compris qu'il manquait un livre. Un manuel pratique pour guider la nouvelle génération de féministes dans l'activisme. Leur expliquer comment transformer leurs idées en actions concrètes et leur montrer comment, chacune à son niveau, seule ou en groupe, que Sarah et Elvire avaient les moyens de faire évoluer la société.
Ce livre s'inscrit dans la ligne directe de ce qu'elles ont déjà commencé à bâtir avec leur série documentaire Clit Révolution, un road-trip autour du monde pour lever les tabous autour de la sexualité féminine. Ce travail leur a permis de donner corps à une communauté de femmes qui osent revendiquer leur sexualité pour changer les mentalités de la société et créer un débat public.
À leur contact, elles se sont enrichies de nouveaux savoirs et ont appris de nouvelles méthodes d'activisme toutes plus étonnantes et créatives les unes que les autres.
Gabriel, élevée en garçon pour une sombre affaire d'héritage, ne se doute pas que son vrai nom est... Gabrielle. « Il » va donc goûter tous les délices d'une éducation « libre » jusqu'au jour où, tombant amoureux de son cousin, il/elle fait rapidement connaissance avec les interdits et les tourments de son sexe réel. Sur cette trame, George Sand élabore une analyse tout en finesse des sortilèges de l'ambiguïté sexuelle.
Gabriel est tout autant un texte sur l'ambivalence amoureuse qu'un manifeste explicite qui fourmille d'indignation, d'impertinence, d'ironie et où sont impitoyablement passées au crible les différences d'éducation et de vie entre les garçons et les filles, entre les hommes et les femmes.
George Sand tenait beaucoup à cette oeuvre que, malgré ses efforts, elle ne put faire représenter et que Balzac enthousiasmé n'hésitait pas à comparer à une pièce de Shakespeare. On y sent aussi le poids de son expérience personnelle. Voire une pointe de tristesse.
Janis M. Glasgow (1934 -2001), spécialiste reconnue de George Sand, a été professeure émérite de français de la San Diego State University. Elle a enseigné à Paris VIII, dans les universités de Nice et de Nantes, dans le cadre d'échanges. Un prix a été créé en son honneur en 2001, le Janis Glasgow Memorial pour récompenser la meilleure thèse de doctorat ayant pour sujet George Sand.
République démocratique du Congo (alors appelée Zaïre), 1996. Une guerre éclate dans les hauts plateaux de l'Est du pays, voisin du Rwanda. La population bascule brutalement dans l'horreur, un cauchemar incessant, fait de conflits armés successifs depuis près de trois décennies. Les habitants, dans leurs villages et sur les routes, subissent frontalement le choc des violences de toutes sortes perpétrées par des rebelles, insurgés de l'armée, militaires, policiers, voleurs..., hommes ivres du pouvoir et de la puissance que leur donnent les armes. Parmi les exactions : les viols et mutilations sexuelles, au pouvoir de destruction ravageur, aggravé pour de nombreuses victimes par une obligation au silence. Mais Tatiana Mukanire parle, en son propre nom et au nom d'autres femmes victimes.
« Nous avons en nous cette envie de vivre. Nous l'avons prouvé en nous battant pour notre survie, en nous accrochant à la vie. Nous avons été esclaves sexuelles, nous avons été enterrées vivantes quand nous ne pouvions plus satisfaire les besoins de nos ravisseurs. Nous avons été ligotées à un arbre au fond de la forêt. Nous avons été violées presque chaque heure. Nous avons perdu connaissance. Plusieurs fois, nous nous sommes crues mortes, mais au fond de nous subsistait l'espoir de respirer à nouveau et de revivre. » T. M. B.
Au chevet de sa mère mourante, Viviane observe avec tendresse ce corps aimé qui, au fil des jours, s'éteint. Durant cinq jours, dans une atmosphère particulière, dense et sereine, Viviane repense à la vie de sa mère, Marianne, à celle de Réjeanne, sa grand-mère, puis à des moments de sa propre vie. Ces différents récits dans lesquels se lit en filigrane l'histoire, souvent ignorée, du Québec depuis la fin du XIXe siècle, s'entrecroisent et s'enrichissent mutuellement, dessinant une matrilignée discrète et forte.
À eux se mêle l'histoire d'Anne qui, au XVIIe siècle, alors qu'elle n'est encore qu'une toute jeune fille, décide de prendre sa vie en mains et de quitter la France pour venir au Québec, fonder tout à la fois sa propre famille et construire un pays. Cette fille de roi, lointaine aïeule, devient ainsi la figure fantasmée de la première d'entre elles, comme l'origine de cette lignée de femmes.
Dans ce roman à la sensibilité aiguisée et se gardant de tout pathos, Lise Gauvin, touchant des liens profonds, dresse un portrait de plusieurs générations de femmes. Elle révèle avec pudeur des personnages aux destinées et personnalités complexes et bienveillantes. Ainsi, comme un cadeau, les derniers mots de Marianne mourante adressés à sa fille : « Et toi, comment vas-tu ?».
« Ma mère a toujours été très soucieuse de son apparence. Elle agençait ses vêtements avec un sens esthétique sûr, hérité de ses talents de peintre. Je l'avais amenée en promenade au jardin et avais pris une photo d'elle entourée des feuillages de l'automne. La qualité de la lumière, le décor automnal, les contrastes de couleur avaient transformé cet instantané en un portrait particulièrement réussi. J'étais partie rassurée pour ce court voyage. Nous nous reverrions dans un avenir prochain. » L.G.
Jeanne Boucher acceptera-t-elle de signer avec Christophe Lambert, fondateur des éditions Thanatographes, spécialisées dans les derniers textes, ce contrat faustien en diable par lequel elle renonce à écrire après lui avoir confié un ultime manuscrit ? Entière, en quête d'absolu et de sens, elle entretient un rapport vital à l'écriture ; face à elle, Christophe n'est-il qu'un dandy cynique qui fait commerce de la mort ? Jusqu'où ira-t-il pour la convaincre d'écrire ce texte - puis de disparaitre ?
Quel rapport ces deux-là entretiennent-ils avec Marie-Madeleine, une vieille dame impudente et truculente, qu'un autre contrat va également bientôt engager avec l'énigmatique et ténébreux réalisateur Achard Lebrument ?
Le contrat est un roman baroque, à multiples facettes, miroirs, chausse-trappes et faux semblants, qui poursuit la réflexion de son auteure sur le statut du réel et propose, outre l'histoire de ces quatre personnages :
- le pitch d'une web série sur la cuisine de l'amour - le programme drolatique d'un Festival du Dernier roman - quelques trésors de l'opérette française - un catalogue jubilatoire de derniers textes encore inédits (réels ou imaginaires) - une playlist de chansons à pleurer - des considérations étymologiques sur l'évolution de quelques mots latins et coquins - mais aussi une réflexion sérieuse sur le chant du cygne : la relation de la Littérature au Temps et à la Mort.
Qui signera ? Qui tire les ficelles ? Qui mourra ?
Trois textes, « La Séduction », « Dépression-jazz » et « Anatomie d'un viol », variations sur une souffrance indicible, l'emprise, le viol. Histoires de toutes jeunes femmes piégées, détruites, mais cherchant au plus profond la force de se relever. Ils ont en commun leurs personnages, brossés avec talent, dont la résilience force l'admiration.
Avec son agilité stylistique et sa plume magistrale, d'une manière à la fois frontale et poétique, l'autrice nous révèle ainsi avec une intense acuité les mécanismes psychiques de cette destruction qu'est le viol pour une victime. Le quatrième texte, préambule à « La Séduction » et en écho aux trois autres, raconte et questionne : au coeur de son propos, comme une puissante interrogation, la possibilité et le sens même de l'écriture.
« Delphine fut, dès sa parution en 1802, très mal reçue. Passe encore en France : Bonaparte détestait Madame de Staël, mais en Angleterre, en Suisse..., le livre était vendu en masse, mais lu avec rage, commenté avec fureur... Montrer comment une femme, belle, riche et libre, dont le seul crime est d'avoir tenté d'être une personne à part entière, est poussée au désespoir par le simple jeu de la société virile. Voilà la gageure que Madame de Staël a tenue dans Delphine. L'auteure, comme son personnage principal, s'y permet de sentir, de penser et surtout de parler... La conspiration du silence est brisée : les femmes parlent... Delphine n'est pas seulement un roman d'amour déchirant et le récit d'une amitié inquiétante, c'est le regard que porte Madame de Staël sur l'histoire, la société et la morale du coeur. Et cela dans une langue qui est celle du raisonnement, celle que l'auteure croyait la plus propre à convaincre : à cette époque, la langue des hommes par définition... » C.H.
Au cours d'un monologue intérieur, Annie Cohen se livre et revient sur le processus créatif qui a marqué toute sa vie, à la fois pictural et scriptural. Peinture et littérature s'entremêlent dans un geste passionné, véritable pulsion de vie, qui pourrait tenir la mort à distance. La création devient alors éminemment intense, sexuelle, organique. C'est à travers son corps de femme entravé par la maladie qu'Annie Cohen ressent, invente et produit. Différentes thématiques personnelles et artistiques s'interpénètrent afin d'ouvrir une fenêtre sur son intimité profonde et tourmentée. Les souvenirs de jeunesse, l'évocation de sa mère, l'Algérie de son enfance, Paris, se mêlent aux éléments du quotidien de l'autrice, et permettent de mieux comprendre la genèse de ses écrits. La vie est là, toujours, incandescente et inaliénable.
Par son écriture magnifique et singulière, Annie Cohen nous emporte dans un passionnant flux de mots et de pensées.
Une puissante ode à l'existence.
Dans ce texte, écrit en 1910, Freud s'attache à étudier le processus de la création artistique chez Léonard de Vinci. Il part d'un des premiers souvenirs rapporté par le peintre. Pour Freud, il s'agit plutôt d'un fantasme, qu'il appellera « le fantasme au vautour » que Léonard « s'est construit plus tard et qu'il a alors rejeté dans son enfance ». Derrière, se cache « la réminiscence d'avoir tété le sein maternel, scène d'une grande et humaine beauté qu'avec beaucoup d'artistes Léonard entreprit de représenter dans ses tableaux de la Vierge et l'enfant ». Composé « du double souvenir d'avoir été allaité et baisé par la mère », ce fantasme fait « ressortir l'intensité du rapport érotique entre mère et enfant ». Le singulier sourire énigmatique de la Joconde ou de sainte Anne s'éclaire alors d'être trace de ce que « sa mémoire conserva comme la plus puissante impression de son enfance ».
Organisée par Pedro Karp Vasquez, cette nouvelle édition publiée au Brésil en septembre 2018 est le fruit d'un long travail de recherche dans des archives publiques et privées, mené par Larissa Vaz sous la direction de Benjamin Moser. Sont réunies ici plus de 120 chroniques inédites de la magicienne de la littérature brésilienne, à côté de celles parues dans La Découverte du monde (des femmes-Antoinette Fouque, 1995, traduction de Jacques et Teresa Thiériot), couvrant ainsi plus de trente ans de journalisme, de 1946 à 1977.
Sans fil conducteur apparent d'une semaine à l'autre, ces chroniques laissent entrevoir une artiste qui ne s'est jamais soumise aux normes habituelles du travail de journaliste. Elle aborde tous les thèmes, du plus intime au plus universel : de son rapport à l'écriture à la beauté féminine, en passant par la narration, vivante et souvent drôle, d'épisodes de la vie quotidienne qui acquièrent soudain, sous sa plume, une signification métaphysique. Elle écrit également sur d'autres écrivain·e·s, tel·le·s Gabriel García Márquez, Alberto Moravia ou son amie Nélida Piñón, et sur des peintres qui l'inspirent tels Giorgio de Chirico ou Paul Klee.
Les chroniques de Clarice Lispector constituent la matière première de ses livres. En grande créatrice indifférente aux genres littéraires, elle les retricote pour les intégrer dans ses nouvelles et ses romans, avec d'infinies variations, comme dans un écheveau de plus en plus dense.
Il est absolument fascinant et passionnant de s'y plonger sans jamais, cependant, en percer le mystère.
Clarice Lispector travaille « dans l'imprécision blanche de l'Intervalle », entre la vie et la vie. Ce premier roman est l'aventure de Joana, fille d'une mère « pleine de pouvoirs et de maléfices », indépendante, obstinée, le diable en personne, tôt disparue, et d'un père lointain et distrait. Joana, c'est la légèreté, l'amour - cette force en elle qui démasque les faux-semblants -, la liberté « même si elle est peu de chose au regard de ce qu'elle désire et qui n'a pas encore de nom »...
Renoncement, passion, révélation, illumination, transformation. Ces mots qui pourraient paraître présomptueux ou maladroits, Clarice Lispector en use avec une assurance et une humilité confondantes. Le miracle est qu'ils nous apparaissent comme les seuls aptes à rendre compte de la quête qu'elle a poursuivie de livre en livre, celle d'une vérité qui jaillit de la réconciliation de l'intelligence et du corps.
« Elle était si vulnérable. Se haïssait-elle pour cela? Non, elle se haïrait plus si elle était déjà un tronc immuable jusqu'à la mort, capable de seulement donner des fruits mais non de croître à l'intérieur d'elle-même. Elle désirait encore plus : renaître toujours, couper tout ce qu'elle avait appris, ce qu'elle avait vu, et s'inaugurer dans un nouveau terrain où le moindre petit acte aurait un sens, où l'air serait respiré comme pour la première fois. Elle avait la sensation que la vie courait épaisse et lente en elle, bouillonnant comme une chaude couche de lave. » C.L.
Près du coeur sauvage, premier roman de Clarice Lispector, publié alors qu'elle n'a que 23 ans, la fait immédiatement connaître du grand public tandis que la critique salue la naissance d'une grande écrivaine, la comparant à Virginia Woolf et à James Joyce.? Pour sa cinquième édition, ce livre est réédité avec une nouvelle traduction en décembre 2018.
Librement inspirée par la vie d'Emily Dickinson (1830-1886), aujourd'hui considérée comme l'une des plus grandes poétesses anglo-saxonnes, La mélodie sans les paroles retrace le parcours d'une créatrice au 19e siècle, en Amérique, alors que les femmes n'avaient pas encore le droit de vote et appartenaient corps et âme à leur mari.
Emily Dickinson refuse un monde qui ne lui laisse pas de place. Consciente de son génie et flirtant de plus en plus avec la folie, elle va s'enfoncer de façon radicale dans la claustration et le silence. Autrice de 1800 poèmes et plus de 1000 lettres, Emily Dickinson n'a pas été publiée de son vivant. Pourtant, son premier recueil connut immédiatement un succès phénoménal.
La fiction théâtrale de Catherine Benhamou met en scène l'entourage proche de la poétesse, son père avec qui elle a une relation très forte, sa soeur qui s'est sacrifiée pour s'occuper d'elle et qui est la seule à croire en son talent, son amie Suzy dont le départ va la désespérer, celui qu'elle choisit comme « guide », qui lui déconseille l'édition et enfin Mabel qui vient jouer et chanter pour elle sans jamais la voir. C'est cette dernière qui fera paraître le premier recueil de la poétesse.
« Il ne s'agit pas d'une biographie théâtralisée mais plutôt d'approcher, par le moyen du théâtre la vie et le rapport à la création d'une poétesse de génie, encore trop peu connue en France et totalement incomprise de son vivant. Il m'a paru intéressant de faire du théâtre avec quelqu'un qui a passé la plus grande partie de sa vie à se soustraire aux regards mais qui mettait en scène chacune de ses apparitions. » C.B.
Avec Corpsexe, deuxième volet de notre thématique autour du corps, nous cherchons à ouvrir les cases enfermantes des normes assignées à chaque sexualités. Nous nous posons la question de leurs représentations et de ses conséquences sur la société. Dans ce numéro, nous avons fait le choix de publier des seÌries repreÌsentant des sexualités partageÌes, consenties et assumeÌes, et nous y tentons d'y partager l'espoir d'un monde plus fluide, dans lequel la pluraliteÌ des sexualiteÌs en serait la norme.
Pour accomplir une destinée aussi extraordinaire que celle d'Élisabeth Vigée Le Brun, il ne suffit pas d'avoir du génie, il faut encore que ce génie coïncide avec celui d'une époque. Magnifiquement douée pour saisir la ressemblance dans un temps où le portrait est le seul moyen de représenter le visage humain, Élisabeth Vigée Le Brun était, à quinze ans, déjà connue, à dix-sept elle peignait les portraits de l'aristocratie, peu après vingt ans elle était à la cour et bientôt le peintre attitré de la reine Marie-Antoinette... c'est dire que sa réputation était établie dans l'Europe entière. Élisabeth Vigée Le Brun est à la mode, reçue partout, nommée à l'Académie de peinture et elle jouit certes de ses succès qu'elle nous rapporte en détail dans ses Souvenirs, mais jamais elle ne se prend au sérieux, jamais on ne sent chez elle la moindre pompe. S'amuser reste pour elle la grande affaire... et en faire un récit empreint d'une légèreté dont nous avons hélas perdu l'habitude.
Après avoir écrit deux ouvrages sur les règles, Élise Thiébaut a eu envie de parler des cycles dans une pièce de théâtre qui met en scène nos intimités trop souvent oubliées ou malmenées.
De la puberté à la ménopause, de l'avortement à la maternité, du sexe au désir, elle aborde avec humour, mais aussi avec amour, ces moments de la vie des femmes - et des hommes - marqués par l'appel du corps, de la transmission et de la liberté.
« Vous avez sûrement entendu parler de cet organe qui se trouve entre les jambes de la moitié des êtres humains. On peut l'appeler la chatte, bien qu'elle ne ressemble que de très loin à un félin. On peut l'appeler le con, bien que le plus con des deux dans ce cas ne soit pas celui qu'on croit. » É.T.
Au sein d'un paysage lunaire et désertique, une femme s'échappe d'un camp où elle a été enfermée à la suite de l'explosion d'un Site qui l'a violemment contaminée. Elle y a subi des expérimentations scientifiques et s'est fait passer pour morte afin de s'évader. La narratrice à l'identité sibylline marche en quête de liberté et de remémoration. Au fil de son cheminement, les souvenirs refont surface par bribes nébuleuses.
Le texte est empreint d'événements tels que l'enfer de la Shoah ou encore le Tsunami qu'elle a relaté avec une grande justesse dans son ouvrage The Black Sunday, 26 décembre 2004 (des femmes-Antoinette Fouque, 2005). Sans être mentionnée, l'évocation de la pandémie du Covid-19 révèle l'humanisme profond et singulier de l'autrice. La rêveuse finit par se réveiller, mais le songe est d'une actualité percutante.
« J'ignore ce qu'est devenu le monde dont je me souviens.
De ma mémoire je me méfie aussi. Est-ce bien la mienne ? Suis-je vraiment celle que je pense être à cause d'images, de détails, de sensations, revenus si soudainement dans le camp ? Est-ce une guérison ou encore une manifestation de la contamination ? Suis-je encore sous surveillance ? Il faudrait que je puisse parler avec celles et ceux qui n'ont pas eu la tête lessivée. Alors je saurais que le monde dont je me souviens est réellement le monde où j'ai vécu. Ma seule certitude est que je marche, je marche, je marche mais où ? » J. M.
Le rôle des femmes dans la Résistance, qui plus est juives et/ou communistes, est longtemps resté un point aveugle de l'historiographie des années 1940-1945. Cette biographie historique vient ainsi réparer un oubli en faisant renaître, à partir d'un travail d'archive rigoureux, la figure emblématique et méconnue de France Bloch-Sérazin, chimiste de premier plan et militante communiste engagée tôt dans la résistante française. France Bloch-Sérazin, « morte pour la France », a été arrêtée à Paris par la police de Vichy et guillotinée par les nazis à Hambourg en février 1943, alors qu'elle n'avait pas trente ans.
Voici donc le portrait d'une femme de combat, au plus près des témoignages et grâce aux lettres inédites, aux rapports de filature, aux interrogatoires de police. Celles et ceux qui l'ont connue gardent le souvenir d'une femme passionnée, symbole de courage, de générosité, de haute valeur humaine. Autour d'elle : son mari Frédo Sérazin, résistant mort pour la France à Saint-Étienne ; son père, l'écrivain Jean-Richard Bloch, tenant d'un milieu intellectuel foisonnant, uni par des valeurs politiques et morales d'engagement ; une famille dispersée par la guerre, de l'Amérique du Sud à l'URSS, des prisons françaises aux camps d'extermination. En toile de fond, c'est aussi un pan central de la résistance communiste parisienne, organisée autour du XIVe arrondissement et de Raymond Losserand, qui nous est révélée et dont le couple France Bloch-Frédo Sérazin incarne l'idéal, l'union de la culture et du prolétariat.
Dans "Le Dernier Amour", dédié à Gustave Flaubert, George Sand continue à s'interroger sur le mariage, l'amour et la passion. Une jeune femme s'y trouve déchirée entre la passion orageuse et mauvaise qu'elle éprouve pour un tout jeune homme qui pourrait être son fils et un amour raisonnable pour un homme plus âgé qu'elle, son honnête et sage mari. Dans ces contradictions s'affrontent des désirs contraires : désir d'appartenance à une société et contestation d'un ordre qui opprime les femmes. Publié en 1866, ce roman n'avait jamais été réédité.
« Il y avait en elle des cordes brisées ou détendues : l'instrument, exquis par lui-même, ne pouvait être d'accord. Le son déchirant m'en était pénible. Parfois cependant une belle note pure produisait une impression délicieuse. J'éprouvais le besoin de la plaindre ; mais elle ne permettait pas l'amitié et ne semblait pas la connaître. Son attachement pour les siens avait le caractère d'un devoir accompli avec passion, jamais avec tendresse. » G.S.
Mireille Bossis est écrivaine. Elle enseigne à l'université de Paris VII. Elle a soutenu une thèse de doctorat d'État, intitulée À la recherche de George Sand. Écriture romanesque et expression de soi.