Phèdre est rongée en secret par l'amour coupable qu'elle porte à Hippolyte, le fils du roi Thésée, dont elle est la seconde épouse. Ce dernier, absent depuis de longs mois, passe pour mort. Phèdre déclare alors sa flamme à Hippolyte, qui la rejette avec horreur. C'est alors que, contre toute attente, Thésée rentre à Trézène...
Le Discours de la servitude volontaire est le titre que Montaigne a donné au livre de son ami. Contr'un eût sans doute été le titre le plus pertinent car La Boétie interroge, selon un mouvement d'analyse inconnu jusqu'alors, les diverses formes de l'union politique à partir du désir et de l'investissement dangereux du désir dans l'unité, dans l'identification au nom d'Un. Il touche ainsi au noeud de la subjectivité linguistique et de la psychè. Le problème de l'articulation du désir dans les mots prend une dimension politique. L'analyse de cette articulation introduit à un art d'écrire, qui chiffre et crypte l'écriture inédite dans laquelle s'ouvre le passage du psychique au politique.
Une écriture dans l'écriture, une possibilité jumelle de servir ou de résister se livrent éclairées entre l'implicite et l'explicite. L'incandescente fulgurance du Discours de la servitude volontaire tient donc à sa texture même : ses mots indiquent le point de fascination pour le nom d'Un, où le langage articulé se perd dans le déni de son articulation nonidentificatoire ; mais ses mots indiquent aussi une récursion possible du temps de la fascination pour le nom d'Un dont se produit la servitude.
Ecriture et contre-écriture suscitent un art de lire dont l'oeil se doit d'être syllabique, plutôt que synoptique, comme un mouvement qui plierait le langage sur lui-même et le ponctuerait de dissimilitudes.
Sens unique constitue un tournant dans l'oeuvre de Benjamin. Ses réflexions s'y présentent comme l'exercice d'une écriture d'inspiration surréaliste bousculant les formes traditionnelles de la philosophie. Avec cet ensemble de textes courts, Benjamin livre une critique de la société allemande traversée par l'expérience de l'inflation. Les fragments urbains de Sens unique sont à lire en relation avec l'Origine du drame baroque allemand : ce livre expérimental est l'effectuation d'une opération conceptuelle qui s'est constituée dans l'étude sur le baroque. Il met à l'épreuve du présent la procédure allégorique amorcée dans cet ouvrage.
Le chat s'est attelé à nous faire accepter le paradoxe sur lequel se fonde notre relation : faire ami-ami avec un fauve. Exerçant son emprise sur notre esprit, il en a percé les couches les plus profondes et a reprogrammé notre cerveau. Et nous voici sous influence, ensorcelés par son sourire qui, tel celui du chat du Cheshire, flotte encore longtemps dans l'air quand tout le reste s'est évaporé. Par un brillant tour de passe-passe, ce prestidigitateur de génie a réussi à prendre le pouvoir et à étendre son empire en nous faisant oublier qu'il était un prédateur et que nous devions en avoir peur. Du jour où nous l'avons laissé entrer, s'infiltrant par les toits, poussant les portes, se coulant par les chatières, il a dérobé les clés de notre âme. Il s'est installé de la cave au grenier, s'étalant, si possible, au centre du canapé. À peine a-t-on eu le temps de déceler sa présence qu'il nous a presque déjà croqués...
Sont ici réunis en un seul volume les récits africains de Llewelyn Powys, écrits lors du long séjour qu'il fit au Kenya pour aider son jeune frère Willie, à la ferme qu'il avait acquise et soigner la tuberculose qui finit par l'emporter au sanatorium de Clavadel, en Suisse. Y apparaissent en pleine lumière, la vulgarité, la rapacité et la cruauté des sujets de Sa Majesté, exilés volontaires à la Colonie, tandis que rôdent les bêtes de proie, que rugissent les lions et que se déchaînent les éléphants qui jadis étaient des hommes avant d'être chatiés par Dieu, selon la croyance des Massai, la plus fière tribu de ces lieux. A l'opposé de l'Ebène et du soleil torride de l'Afrique, l'Ivoire de la lune, la déesse froide qu'adorait Mary Cowper Powys, la mère de Llewelyn, les contes du Dorset, narrés sous le signe de l'Ivoire, rivalisent en violence et en cruauté (La Torcol, par exemple) avec ceux qui embrasent la vallée du Grand Rift.
Comme le dit un judicieux personnage de Mark Twain, M. Tête de Pudding, un chou-fleur c'est simplement un chou qui a été au collège. Sa monstruosité s'explique par un excès d'éducation, mais c'est bien d'avoir une explication si poussée soit-elle, car nous avons ainsi l'heureuse satisfaction d'expliquer comment le chou-fleur en est venu à ce point. Or les champignons n'ont aucune éducation. Leurs formes affirment une méconnaissance totale de tout usage. Ils ne sont même pas monstrueux. Ambigus et radieux, ils tournent en dérision les plus élémentaires principes. S'ils se pourvoient de ce que l'on appelle un pied et un chapeau, chaque espèce, sur ce thème d'une pauvreté remarquable, s'ingénie à des variations dont la gratuité confine à l'insolence.
André Dhôtel
Tout au long du processus de civilisation, l'homme n'a cessé de vouloir gommer la part d'ombre ; d'effacer ce chemin qui l'a conduit de l'état animal à l'état humain. Pourtant, et bien qu'il en ait souvent peur, il conserve cette nostalgie de l'ombre. Il aspire à se raconter des histoires noires... et à affronter le Sauvage. Se mesurer à la bête offre la possibilité d'une page à écrire, d'une relation à inventer. Grâce à elle, il ne renonce pas tout à fait à ses racines. Il hésite : toujours se civiliser davantage ou ne pas oublier son noyau d'obscurité ?
Du fond des cavernes, le troisième animal observe encore l'homme moderne comme il observait jadis le chasseur primitif. Drapé dans ses incertitudes, il nous invite à ne jamais cesser de rêver. Et vient nous rappeler que nous restons, malgré nous, des guetteurs d'ombres. Il est ce gardien du rêve dont les yeux continuent de briller dans l'obscurité, dont les oreilles restent perpétuellement à l'écoute, attentif au moindre de nos mouvements. Il est ce voleur de feu qui montre le chemin de la liberté
CE LIVRE compile des légendes et des contes anciens d'Argentine, recueillis puis réécrits par l'écrivain et naturaliste William Henry Hudson, alias Guillermo Enrique Hudson. La première histoire du recueil est aussi la plus connue, elle s'intitule « El Ombú ». À l'ombre de cet arbre majestueux et solitaire, la voix du vieux Nicandro s'élève sur l'étendue des Pampas. Alors commence l'émerveillement.
Dans ces entretiens enregistrés pour France Culture de 1991 à 1996 à l'Infirmerie Spéciale de la Préfecture de Police puis à l'hôpital Sainte-Anne, Marcel Czermak, psychiatre psychanalyste, et Jean Daive, écrivain, radiographient ensemble, chacun dans son registre de parole - analytique pour l'un, phonétique pour l'autre -, un nouveau « malaise dans la civilisation », tel que le donnent à interpréter les pathologies psychiques auxquelles Marcel Czermak est confronté aux urgences psychiatriques : disparition, délire de négation, égarement, phobie, traumatisme, deuil, mélancolie, psychose... Les patients sont parfois présents dans la pièce, et leurs voix donnent relief à ce que Fitzgerald nommait « la fêlure » (The Crack up), ces coups qui viennent du dedans et « qu'on ne sent que lorsqu'il est trop tard pour y faire quoi que ce soit ».
Écouter, soigner en écoutant, entendre les bouches qui ne parlent pas ou qui parlent sans s'ouvrir est le travail de Marcel Czermak. La clinique et la pratique de la cure lui permettent de faire apparaître les structures individuelles et transindividuelles à partir desquelles se lève un diagnostic sombre sur notre temps.
Penseur météorique, auteur d'une hypothèse aussi subversive que scandaleuse, La Boétie est âgé de dix-huit ans lorsqu'il rédige, en 1546, la première version d'un texte que son ami Montaigne intitulera Discours de la servitude volontaire et auquel les calvinistes donneront le titre régicide de Contre Un. L'hypothèse de la « servitude volontaire » n'interroge plus la domination comme une relation duelle verticale, s'exerçant pour ainsi dire de haut en bas, mais comme un « vice monstrueux » procédant du consentement et de la contribution active des dominés à leur servitude.
La bascule du haut en bas, le renversement des perspectives, la révolution « horizontale » de la théorie classique de la domination font de La Boétie un penseur politique pionnier, qui atteint toutes les formes de l'autodomestication, de l'autocontrôle, de l'intimisation de la conscience, de l'hétéronomie de la psyché, avant même que Freud ne les cerne au XXe siècle à partir de la pulsion de mort. Aussi le Discours de la servitude volontaire fait-il résonner un grand nombre des questions politiques qui inquiètent notre contemporanéité. La servitude mise au coeur de la psyché humaine vise, en effet, une complication du désir difficile à penser - nous pourrions vouloir désirer la servitude, nous pourrions vivre la liberté comme une inquiétude majeure et la servitude comme une quiétude apaisante.
Mais au revers de ce vouloir servile, au revers de ce désir saisi par l'angoisse de vivre la pluralité de la vie, c'est-à-dire fasciné par l'identification au nom d'Un, La Boétie ouvre la possibilité jumelle de servir ou de résister : nous pourrions ne pas vouloir désirer la servitude ; le désir s'affranchirait de la servitude sous l'effet de ce nepas- vouloir. Ce ne-pas-vouloir implique toutefois que le désir quitte les liens d'unité (l'Un) pour (re)venir à la vie par l'union, à la relation proprement politique des « tous uns ». Il y a donc à penser une dialectique politique de l'émancipation où la capture du désir par le nom d'Un est défaite peu à peu dans le tissage de relations d'entreconnaissance capables de rendre à la vie politique sa pluralité constitutive.
L'effacement total des références aux circonstances réelles qui ont accompagné la genèse du Discours de la servitude volontaire explique son adaptabilité à des situations historiques très diverses et donne ainsi aujourd'hui un immense retentissement à la question que le Discours pose à chacun de ses lecteurs : « Et toi pourquoi obéis-tu ? »
« Fascinant... On a écrit des livres sur des pays entiers à la galerie de personnages moins intéressants que ceux de Lewis-Stempel et son champ aux confins du Pays de Galles. Les renards, les milans royaux et les campagnols deviennent aussi intrigants que les héros d'un drame de HBO. » Tom Cox, Observer De loin, un champ a l'air d'un seul tenant ; mais de près ? Que se passe-t-il vraiment dans l'herbe haute ?
En apparence, La Prairie est un simple journal : de janvier à décembre, John Lewis-Stempel raconte le passage des saisons, des renoncules au printemps à la coupe des foins en été et au pâturage en automne. Il dévoile les vies des animaux qui habitent l'herbe et le sol : le clan des blaireaux, la famille des renards, la garenne des lapins, la couvée des alouettes des champs et le couple de courlis, entre autres. L'histoire de leur naissance, leur vie et leur mort est une biographie intime de la vie animale.
Rapprochez-vous encore un peu, suivez les phrases ciselées de Lewis-Stempel et vous vous apercevrez, par exemple, que ce qui paraît plat ne l'est pas vraiment, que ce qui paraît petit est grand et ce qui paraît un est multiple.
En d'autres termes, vous vous apercevrez que la prairie qui enchante le regard - et l'estomac des moutons - est, à elle seule, un monde.
« Je ne vous parlerai que de ce que l'on ressent quand on travaille et qu'on observe un champ auquel on est lié depuis toujours. Tout essai de rationalisation... est inutile », nous aura avertis Lewis-Stempel.
Philippe Ivernel engage vers 1960 une thèse intitulée Walter Benjamin. Critique en temps de crise. Retrouvé dans ses archives après sa disparition en 2016, ce travail inédit et resté inachevé a donné l'impulsion première à ce recueil de textes qui couvre plus de cinquante années de recherches consacrées au philosophe berlinois. Une double ambition s'y donne à voir dès le départ : faire connaître rigoureusement, y compris dans ses dimensions les plus méconnues, la pensée de l'auteur de Sens unique et montrer comment s'y nouent, à partir des années trente, des relations singulières, complexes et parfois tendues, avec l'oeuvre de Bertolt Brecht grâce à laquelle, au tout début de sa formation, Philippe Ivernel découvrit les écrits de Walter Benjamin.
La question pratique du geste et plus largement du corps, sur scène comme dans la vie, acquiert dès lors, chez Walter Benjamin et dans les interprétations proposées par Philippe Ivernel, une place éminente, de nature foncièrement politique, place rarement soulignée et où s'origine l'espace de l'action, du passage à l'action, que cette dernière renvoie à la figure de l'enfance, souvent convoquée, ou relève plus souterrainement de la sphère de l'utopie, jamais négligée.
D'articles en conférences, de préfaces en synthèses didactiques, à travers fragments et entretiens, Philippe Ivernel déploie ainsi le profil d'un Walter Benjamin critique en temps de crise : un homme non seulement en prise avec les urgences de son temps exposé aux menaces des fascismes, mais un penseur dont chaque mouvement porte à réflexion.
L'oeuvre d'Edith de la Héronnière est marquée par l'itinérance, le cheminement à petits pas en quête de pépites dérobées aux regards. L'auteur sait, par intuition, ce qui brillera ou non par le bain alchimique de la prose poétique.
Dans ces chemins nouveaux, l'ensemble des « traverses » dessine le sous-titre du livre : un « Grand Tour ». Et c'est la plume, l'acte même d'écrire qui fait surgir les souvenirs d'une vie en marche. La Dordogne et la Bourgogne, terres natales, ramènent à Vézelay, la terre d'adoption, dans un splendide « Voyage d'hiver » final.
Entre-temps, le lecteur suit la narratrice à travers les paysages ralentis d'Auvergne, les routes empierrées de la Sicile, l'ascension dantesque du Stromboli. La Sicile, coeur de l'oeuvre, coeur encore de cet ouvrage où plane le fantôme de Lampedusa dans les ruines de son palais perdu. Mais le tour se poursuit, nous mêle aux sables brûlants de la Vallée de la Mort. La nature, quand la chaleur devient fournaise, se fait pierreuse, minérale. Les gemmes abondent le long des chemins, mais dès que reviennent ombre et eau, ce sont les champignons et les plantes qui s'offrent à la contemplation.
Les chemins de traverse d'Edith de la Héronnière sont bien plus, et bien autre chose finalement, que de simples « choses vues ». La réflexion sur l'écriture (sa nature essentiellement sensuelle) se confond avec les chemins de la nature. L'ouvrage ouvre un champ peu exploré, véritablement envoûtant, sur le lien si étroit (et si mystérieux) unissant lignes tracées sur le papier et lignes sillonnant la terre.
VOICI UNE DES AUTOBIOGRAPHIES les plus célèbres de la Renaissance. Benvenuto Cellini eut une destinée fabuleuse : orfèvre et sculpteur de la Renaissance, sa renommée dépasse les frontières de l'Italie. Il cisèle, martèle, fond l'or et l'argent des grands de ce monde. Au-delà des faveurs des princes, des rivalités et cabales des cours, il reste un homme libre, choisissant ses « patrons ».
Mais c'est surtout ses Mémoires, publiées en 1728, qui le rendront célèbre. A peine publiée, cette Vita, dictée à la fin de sa vie, est devenue un classique : traduite par Goethe, elle inspira Berlioz, Lamartine et bien d'autres... Ce récit d'aventures d'un personnage qui se décrit hâbleur, impulsif, violent, jouisseur et sans scrupules se lit comme un roman de cape et d'épée où le héros poursuivi pour assassinat, emprisonné par le pape, accusé de vol et de sodomie, côtoie un certain MichelAnge et un roi nommé François Ier. On lit cette Vita pour le seul plaisir, emporté par le mouvement endiablé, une intrigue toute en rebondissements et en surprises, le déroulement sur fond d'histoire d'une carrière au contact des grands de ce monde qui interviennent en personne. Cellini a dû être un bavard intarissable ; même reconstitués de mémoire, ses discussions excitées et ses harangues menaçantes gardent une force incisive, parfois relevée de mots malsonnants, que la traduction s'est fait un devoir de préserver. Ses compagnons devaient beaucoup s'amuser ; l'insolence est toujours risible et les Florentins y étaient passés maîtres.
Les textes d'Alain Mérot réunis dans ce volume permettent d'éclairer d'une lumière nouvelle l'oeuvre de Nicolas Poussin (1594-1665), notamment par l'analyse du processus qui l'a conduit à accorder au cours de sa vie une place grandissante au paysage. Car en effet, s'il reste aux yeux de la postérité un peintre d'histoire, représentant des actions puisées dans les grands textes de l'Antiquité ou de la tradition biblique, Poussin a instauré une relation de plus en plus étroite avec la nature, par la conquête méthodique de l'espace dans lequel l'histoire se raconte et peut déployer toutes ses harmoniques. Certes, le paysage est un espace de narration, mais aussi de poésie où les différents éléments - chemins, arbres, rochers, fleuves ou « fabriques » - sont autant de repères et de rappels destinés à amplifier l'action. Comme le poète polit ses vers et ses rimes, le peintre ordonne le ciel et l'eau, les collines et les arbres, jouant avec les lignes et les couleurs, avec les rythmes et les sonorités. Ainsi que le conclut Alain Mérot, « Il ne faut jamais perdre de vue ce caractère musical qui est commun aux belles peintures et aux beaux vers. «Bien lire» le tableau, c'est aussi savoir l'écouter ».
Quand Virginia Woolf, aussi fascinante et au venin aussi meurtrier que cette horreur, la vipère du Gabon (Bitis gabonica) la mord au coeur en lui disant qu'elle écrit « de l'extérieur » - sous-entendu qu'il vaudrait mieux qu'elle fasse autre chose - Vita Sackville-West aurait pu répondre qu'elle, Virginia, ne connaissait rien au jardinage, occupation tout aussi meurtrière, si on la conçoit comme un des beaux-arts.
Elle ne le fit pas, sans doute parce qu'elle était trop blessée, trop généreuse et, même si c'est démodé, trop bien élevée pour faire ce genre de répartie.
Il faut lire ce petit livre, musical comme un jardin Anglais, pour retrouver à la fois l'artiste et la jardinière, c'est-à-dire aussi bien des images de rêve que des conseils pratiques à toutes celles (ceux) qui ont ou désirent avoir la main verte La main d'un maître, écrivait Rimbaud, anime le clavecin des prés.
Interdite de littérature - mais pas de caresses - par Virginia Woolf, Vita Sackville-West prend en un éclair conscience des trésors qu'elle possède : un mari et un jardin. Son mari, le diplomate Harold Nicholson, conçoit l'architecture et dessine les plans de ce qui deviendra le somptueux jardin de Sissinghurst dans le Kent, que Vita, mi-gitane andalouse , mi-grande dame anglaise, transgressant sans vergogne les règles de l'art des jardins, transforme à quatre mains : la gitane zingari fait surgir de terre une mosaïque de couleurs, une jungle asymétrique, une orgie dans l'aurore ou le soleil couchant, l'aristocrate anglaise, qui n'aime que la lune froide, un extraordinaire jardin blanc : Attention, prévient-elle «j'aime la couleur, qui me met en joie, mais j'ai une prédilection pour le blanc. Les ombres d'un vert glacé que la blancheur peut prendre sous certains éclairages, au crépuscule ou au clair de lune, surtout au clair de lune, peut-être, font du jardin un rêve, une vision irréelle, et l'on sait cependant qu'il ne l'est pas le moins du monde puisqu'il a été planté exprès. »
Comme la majorité des cours d'Adorno, la Terminologie philosophique est à lire comme une perspective sur l'oeuvre majeure en préparation depuis la fin des années 1950, à savoir la Dialectique négative. La perspective prise à partir du rapport constitutif de la philosophie à la langue est si inédite et étonnante qu'elle produit véritablement une nouvelle lecture de la Dialectique négative. Ce cours dispensé pendant deux semestres a été conçu par Adorno à la fois comme une introduction à la philosophie et comme une réflexion sur la manière dont les problèmes philosophiques sont indissociables de l'usage et de l'histoire de la langue.
Les animaux dits « nuisibles » ne cessent d'alimenter des polémiques sans fin. Chaque partie possède de bons arguments (du moins recevables) mais si l'impossible consensus échappe, c'est que les « bêtes noires », sujets des débats, échappent elles-mêmes...
Dans cet essai magistral, où l'auteure retrace l'histoire ancestrale du rapport si complexe entre l'homme et l'animal sauvage, on comprend la raison pour laquelle l'espoir d'une telle concorde juridique et sociétale est chimérique : c'est que le « troisième animal », selon l'heureuse expression de Pierre Michon, est par nature insaisissable.
La haine que l'homme voue depuis toujours aux carnassiers (fouines, putois, loups, renards, etc.), ces êtres que l'Histoire a peints en rouge et noir (le sang et le poison), exprime d'abord la terreur suscitée par « le Sauvage ». Derrière les combats bruyants relayés par la lumière des médias, il y a l'espace poreux de la « bête noire » où se déroule une vie honnie : activité secrète, silencieuse, nocturne, rapines, meurtres furtifs...
Julie Delfour nous fait comprendre, en fin de compte, que la meilleure connaissance du troisième animal se trouve dans certains polars. Ensuite seulement, on pourra se (re)mettre à discuter calmement.
Quantité d'ouvrages traitent des divers éléments qui composent les jardins. Aucun, à ce jour, n'a exploré le plus simple et, pourtant, si présent : le gazon. Ce dernier a fait l'objet de nombreux livres techniques, mais n'a pratiquement jamais été étudié comme motif essentiel du jardin, à la fois structurant et parmi les plus sensibles. Seul un petit essai de Jean-Claude-Nicolas Forestier, en 1908, initie la réflexion. C'est lui qui m'a lancée sur les traces de l'herbe rase, au vert si caractéristique.
Or, les images et, surtout, les écrits anciens révèlent toute sa place dans la culture occidentale. C'est le sujet du livre de Lucie Nicolas-Vullierme qui propose de parcourir, selon différents prismes, l'histoire du gazon, en l'accompagnant d'une réflexion plus personnelle.
Son texte alterne des parties strictement scientifiques, s'appuyant sur des documents historiques précis, avec des approches plus lyriques qui tentent de saisir la portée symbolique de l'herbe maintenue courte. Plusieurs entretiens avec des paysagistes et des architectes en chef des monuments historiques complètent ce panorama richement illustré.
S'approcher d'une vache, c'est entrer dans un univers de cornes, de cloches, de lait, de bouse, et parfois aussi de craintes. Ce grand corps en impose.
Bien sûr vous l'aimez, mais pas de trop près. Pourtant la vache ne cherche noise à personne. Indifférente aux tumultes humains, elle va toujours de son pas tranquille brouter l'herbe fraiche, secret du lait onctueux qui donne des joues rondes aux petits enfants.
« Ce qui m'intéresse avant tout, ce sont les données fournies par les réalités naturelles qu'on néglige parce qu'on les enferme dans des fonctions. Il y a, par exemple, l'Ophrys que je cite dans ce livre.
Cette fleur imite l'abeille sans la connaître et l'imite inutilement puisque l'abeille ne lui est pas nécessaire.
Les botanistes dont je lis fréquemment les livres n'abordent pas les aspects qui m'attirent. Ainsi la dispersion des graines n'entre pas dans la classification des modes de diffusion. Ce qui m'étonne, c'est la réalisation même de ces graines, leur forme. Car enfin, comment un pissenlit, enraciné dans la terre et qui ignore tout du vent, peut-il créer une graine qui peut s'envoler à la moindre brise ? C'est la manifestation d'une intelligence qui ne correspond pas à l'intelligence humaine. Alors qu'est-ce que la nature ? Où est-elle ? Où est l'ordinateur ?
La réalité surnaturelle dont on voit les traces n'appelle en moi aucune théologie. C'est l'expérience d'un rôdeur. Le naturaliste Fabre disait que les insectes semblaient appartenir à une autre planète. » André Dhôtel