Tout au long du processus de civilisation, l'homme n'a cessé de vouloir gommer la part d'ombre ; d'effacer ce chemin qui l'a conduit de l'état animal à l'état humain. Pourtant, et bien qu'il en ait souvent peur, il conserve cette nostalgie de l'ombre. Il aspire à se raconter des histoires noires... et à affronter le Sauvage. Se mesurer à la bête offre la possibilité d'une page à écrire, d'une relation à inventer. Grâce à elle, il ne renonce pas tout à fait à ses racines. Il hésite : toujours se civiliser davantage ou ne pas oublier son noyau d'obscurité ?
Du fond des cavernes, le troisième animal observe encore l'homme moderne comme il observait jadis le chasseur primitif. Drapé dans ses incertitudes, il nous invite à ne jamais cesser de rêver. Et vient nous rappeler que nous restons, malgré nous, des guetteurs d'ombres. Il est ce gardien du rêve dont les yeux continuent de briller dans l'obscurité, dont les oreilles restent perpétuellement à l'écoute, attentif au moindre de nos mouvements. Il est ce voleur de feu qui montre le chemin de la liberté
« Fascinant... On a écrit des livres sur des pays entiers à la galerie de personnages moins intéressants que ceux de Lewis-Stempel et son champ aux confins du Pays de Galles. Les renards, les milans royaux et les campagnols deviennent aussi intrigants que les héros d'un drame de HBO. » Tom Cox, Observer De loin, un champ a l'air d'un seul tenant ; mais de près ? Que se passe-t-il vraiment dans l'herbe haute ?
En apparence, La Prairie est un simple journal : de janvier à décembre, John Lewis-Stempel raconte le passage des saisons, des renoncules au printemps à la coupe des foins en été et au pâturage en automne. Il dévoile les vies des animaux qui habitent l'herbe et le sol : le clan des blaireaux, la famille des renards, la garenne des lapins, la couvée des alouettes des champs et le couple de courlis, entre autres. L'histoire de leur naissance, leur vie et leur mort est une biographie intime de la vie animale.
Rapprochez-vous encore un peu, suivez les phrases ciselées de Lewis-Stempel et vous vous apercevrez, par exemple, que ce qui paraît plat ne l'est pas vraiment, que ce qui paraît petit est grand et ce qui paraît un est multiple.
En d'autres termes, vous vous apercevrez que la prairie qui enchante le regard - et l'estomac des moutons - est, à elle seule, un monde.
« Je ne vous parlerai que de ce que l'on ressent quand on travaille et qu'on observe un champ auquel on est lié depuis toujours. Tout essai de rationalisation... est inutile », nous aura avertis Lewis-Stempel.
Interdite de littérature - mais pas de caresses - par Virginia Woolf, Vita Sackville-West prend en un éclair conscience des trésors qu'elle possède : un mari et un jardin. Son mari, le diplomate Harold Nicholson, conçoit l'architecture et dessine les plans de ce qui deviendra le somptueux jardin de Sissinghurst dans le Kent, que Vita, mi-gitane andalouse , mi-grande dame anglaise, transgressant sans vergogne les règles de l'art des jardins, transforme à quatre mains : la gitane zingari fait surgir de terre une mosaïque de couleurs, une jungle asymétrique, une orgie dans l'aurore ou le soleil couchant, l'aristocrate anglaise, qui n'aime que la lune froide, un extraordinaire jardin blanc : Attention, prévient-elle «j'aime la couleur, qui me met en joie, mais j'ai une prédilection pour le blanc. Les ombres d'un vert glacé que la blancheur peut prendre sous certains éclairages, au crépuscule ou au clair de lune, surtout au clair de lune, peut-être, font du jardin un rêve, une vision irréelle, et l'on sait cependant qu'il ne l'est pas le moins du monde puisqu'il a été planté exprès. »
Quantité d'ouvrages traitent des divers éléments qui composent les jardins. Aucun, à ce jour, n'a exploré le plus simple et, pourtant, si présent : le gazon. Ce dernier a fait l'objet de nombreux livres techniques, mais n'a pratiquement jamais été étudié comme motif essentiel du jardin, à la fois structurant et parmi les plus sensibles. Seul un petit essai de Jean-Claude-Nicolas Forestier, en 1908, initie la réflexion. C'est lui qui m'a lancée sur les traces de l'herbe rase, au vert si caractéristique.
Or, les images et, surtout, les écrits anciens révèlent toute sa place dans la culture occidentale. C'est le sujet du livre de Lucie Nicolas-Vullierme qui propose de parcourir, selon différents prismes, l'histoire du gazon, en l'accompagnant d'une réflexion plus personnelle.
Son texte alterne des parties strictement scientifiques, s'appuyant sur des documents historiques précis, avec des approches plus lyriques qui tentent de saisir la portée symbolique de l'herbe maintenue courte. Plusieurs entretiens avec des paysagistes et des architectes en chef des monuments historiques complètent ce panorama richement illustré.
Quand Virginia Woolf, aussi fascinante et au venin aussi meurtrier que cette horreur, la vipère du Gabon (Bitis gabonica) la mord au coeur en lui disant qu'elle écrit « de l'extérieur » - sous-entendu qu'il vaudrait mieux qu'elle fasse autre chose - Vita Sackville-West aurait pu répondre qu'elle, Virginia, ne connaissait rien au jardinage, occupation tout aussi meurtrière, si on la conçoit comme un des beaux-arts.
Elle ne le fit pas, sans doute parce qu'elle était trop blessée, trop généreuse et, même si c'est démodé, trop bien élevée pour faire ce genre de répartie.
Il faut lire ce petit livre, musical comme un jardin Anglais, pour retrouver à la fois l'artiste et la jardinière, c'est-à-dire aussi bien des images de rêve que des conseils pratiques à toutes celles (ceux) qui ont ou désirent avoir la main verte La main d'un maître, écrivait Rimbaud, anime le clavecin des prés.
« Ce qui m'intéresse avant tout, ce sont les données fournies par les réalités naturelles qu'on néglige parce qu'on les enferme dans des fonctions. Il y a, par exemple, l'Ophrys que je cite dans ce livre.
Cette fleur imite l'abeille sans la connaître et l'imite inutilement puisque l'abeille ne lui est pas nécessaire.
Les botanistes dont je lis fréquemment les livres n'abordent pas les aspects qui m'attirent. Ainsi la dispersion des graines n'entre pas dans la classification des modes de diffusion. Ce qui m'étonne, c'est la réalisation même de ces graines, leur forme. Car enfin, comment un pissenlit, enraciné dans la terre et qui ignore tout du vent, peut-il créer une graine qui peut s'envoler à la moindre brise ? C'est la manifestation d'une intelligence qui ne correspond pas à l'intelligence humaine. Alors qu'est-ce que la nature ? Où est-elle ? Où est l'ordinateur ?
La réalité surnaturelle dont on voit les traces n'appelle en moi aucune théologie. C'est l'expérience d'un rôdeur. Le naturaliste Fabre disait que les insectes semblaient appartenir à une autre planète. » André Dhôtel
« Le pinson des arbres, dans l'Est Londonien, les yeux crevés par des aiguilles rougies au feu, chante aussi en prison quand il s'est habitué à son existence dans le noir et, bien nourri, éprouve un bien être passager qui l'incite à la mélodie. Mais personne, pas même l'amateur d'oiseaux le plus dépravé, ne pourrait soutenir un seul instant que la joie du petit captif aveugle, qu'il chante ou se taise, est le moins du monde comparable à celle du pinson chantant en avril « au sommet du buisson », au milieu du grand monde ensoleillé, bleu au dessus, vert au dessous, avec le désir et le pouvoir, à la fin de la mélodie, de s'envoler rapidement à travers les champs de cristal de l'air vers d'autres arbres et d'autres bois. » À sa mort, en 1922, W. H. Hudson légua la totalité de ses droits d'auteur - ses oeuvres complètes comportent vingt quatre volumes - à la Société Royale pour la Protection des Oiseaux.
Les arachnophobes, qui pullulent aux quatre coins du monde, avaient jusqu'à présent peu d'armes aisément accessibles pour vaincre leur terreur des araignées. Les fameux stages « anti-phobie » sont efficaces, mais il manquait - à l'appui ou non de ceux-ci - le livre adapté.
Le voici enfin, sous la plume allègre et cultivée de Dominique Jacobs, qui poursuit au fond sa série de « chroniques » (Chroniques Franc-Comtoises et recettes de chez nous, 2008), car ces Splendeurs de l'araignée racontent un double cheminement : celui de l'auteure, qui passe de l'épouvante à l'émerveillement apaisé envers les « octopattes », et celui de l'araignée elle-même, à travers son histoire, sa description scientifique, jusqu'à sa splendeur de rêve, illustrée par les écrivains, poètes ou naturalistes (l'ornement suprême), sélectionnés par l'auteure avec un bonheur tout particulier.
L'ouvrage, qui caresse souvent le ton de la fable pour toucher au fabuleux des êtres soi-disant répugnants, repose sur une morale de la plus haute importance : la curiosité alliée à la connaissance profonde de l'autre (l'araignée ici) est l'unique antidote contre les terreurs idiotes.
Les arbres sont innombrables, ils marquent les paysages sous toutes les latitudes, aussi bien dans les campagnes qu'en milieu urbain où ils sont liés organiquement à la respiration des villes. Nous vivons parmi eux sans toujours les distinguer les uns des autres. Or, il y a beaucoup à apprendre de l'arbre - des arbres, de leurs variétés et de leurs nuances. Ils nous enseignent qu'il n'y a jamais de fin à ce que l'on peut voir, si l'on regarde une racine qui devient un tronc fait de branches et de rameaux porteurs de feuillage.
L'auteur connaît bien les arbres, s'étant investi dans l'activité de sauvegarde et de conservation d'un parc paysager. Cette proximité avec ce qu'il est convenu d'appeler La matière des arbres lui permet d'en parler avec une certaine intimité comme en ont parlé, avant lui, nombre de grands écrivains auxquels les arbres doivent leurs plus belles évocations.
Témoin sensible de leur vie, son essai initie le lecteur à ce qui fait, au rythme des saisons et selon les essences, leur spécificité botanique, « cette force sourde et mystérieuse qui est en eux et les tient debout, qui monte dans leurs branches et se répand dans leurs fibres. » Sa passion pour les arbres en fait le fin descripteur du parc d'agrément au sein duquel il les côtoie chaque jour. Ce lieu de vie mais aussi d'observation et d'étude est à l'origine de nombreuses notes personnelles prises alors que la nature arborescente suscite ses émerveillements.
On doit à Edith de la Héronnière un Journal sicilien aujourd'hui prolongé dans les jardins de l'île qui en compte une multitude. Certains sont célèbres comme l'Orto botanico de Palerme, le jardin de la Kolymbetra à Agrigente ou celui du palais de Donnafugata, près de Ragusa ; d'autres sont restés inconnus ou cachés au pied des monastères romans ou des palais baroques, voire même abandonnés dans les montagnes. Publics ou privés, jardins secrets, chantés par les poètes, tous offrent, sur cette terre aride, une saisissante diversité de floraisons, de fragrances et d'essences exotiques, dont certaines rares, comme la Puya des Andes qui fleurit pour la première fois en Sicile onze ans après avoir été plantée dans le jardin de la Villa Piccolo, à Capo d'Orlando dans la province de Messine.
Plus que la recherche de cette plante bizarre, plus qu'un inventaire botanique, c'est une nouvelle approche de la beauté tourmentée de la Sicile qui n'élude pas sa part d'ombre, mais la met en lumière :
Une promenade dans les tons voisins.
Cet ouvrage se présente comme un manuel, un traité de pêche à la ligne, aux intentions précises et pratiques. Son intérêt et son utilité concernent à la fois le praticien de ce sport, ou de cet art nous dirait Walton, que le gastronome qui en déguste les produits.
Si alléchantes qu'en soient les recettes, si amoureusement ouvrées que soient les descriptions des « mouches », ce traité se distingue de manière évidente d'un genre fort à la mode au XVIIe siècle, en Angleterre comme en France, et qui vise à déployer, en virtuose, l'intégralité d'une technique ou d'un art. Ainsi, pouvait-on se procurer, en amateur, le Complete Gardener aussi bien que la Chirurgie complette...Le titre original de ce traité ne déroge pas à la règle (The Compleate Angler) mais élève l'exercice au rang de justification quasiphilosophique des vertus de la pêche : « un art digne du savoir et de la pratique d'un sage ».
De digressions en digressions, nous sinuons à l'ombre d'un fleuve où musique, religion et poésie s'écoulent avec éloquence. C'est que la pêche invite non seulement à la contemplation mais aussi au ravissement, en toute quiétude.
Cet ouvrage présente, décrits et illustrés, la plupart des champignons vénéneux que l'on peut rencontrer en Europe. Il y en a de bien connus : la terrible amanite phalloïde bien sûr (responsable d'environ 90% des accidents mortels dus à la consommation de champignons), ses deux soeurs blanches aussi funestes (l'amanite printanière et l'amanite vireuse), l'entolome livide, le bolet satan, le cortinaire « des montagnes », et le champignon sans doute le plus célèbre au monde, celui de Blanche-Neige, « chapeau rouge, points blancs» : l'amanite tue-mouches.
Le lecteur trouvera, en regard de chaque planche, la description concise mais précise des espèces, insistant beaucoup sur l'habitat et les risques de confusion avec des espèces réputées comestibles. Il trouvera également une rubrique « toxicité », particulièrement renseignée -intégrant les derniers résultats de la recherche en myco-toxicologie -, décrivant en détails la symptomatologie ainsi que les traitements. Il s'agit du premier ouvrage, du moins en Europe, consacré exclusivement aux champignons vénéneux. L'importance de ce travail est évidente. Les pharmaciens qui n'ont besoin de connaître que les espèces vénéneuses, ne disposaient jusqu'à présent d'aucun ouvrage présentant celles-ci avec l'exhaustivité nécessaire à la bonne « prise de décision ».
La consultation de cet ouvrage, ou du moins celle des planches en couleurs, permettra au pharmacien de repérer, dans les paniers, les ressemblances inquiétantes et d'écarter tout danger. Concernant les champignons comestibles, tout pharmacien les connaît : il y en a peu, ils sont très célèbres, et leur connaissance fait partie de la formation pharmacologique. Les champignons mortels d'Europe constituent aussi un outil précieux pour le « cueilleur lambda ». Malgré les efforts toujours croissants en matière d'information et de prévention, les empoisonnements fongiques ne diminuent pas. Le soin apporté, en particulier, à la confection des planches en couleurs, devrait permettre de réduire les risques de méprise. C'est la peur viscérale d'être tué par la consommation de champignons sauvages qu'il faut parvenir à faire naître. Les spécialistes de la myco-toxicologie soulignent que la conscience (même infime) de cette peur, loin de provoquer l'excitation du danger, détourne presque toujours la personne de l'idée de consommation. Si cet ouvrage permet de faire prendre conscience au lecteur du danger qu'il court et de lui éviter l'accident, alors il aura rempli son office.
« Au gré des rangements à perte de vue de ma bibliothèque, j'ai fini par mettre ensemble Héraclite, Zhuangzi, Goethe, Nietzsche, Thoreau, Bachelard et Rimbaud. Leur point commun, c'est la compréhension (« prendre avec ») de la nature, qui leur donne l'image la plus sensée de l'existence : pour mesurer notre place dans l'univers, il faut d'abord entendre la place de l'univers en nous. Or cette imbrication semble oubliée voire gommée par la plupart des systèmes philosophiques. Faut-il voir là quelque rapport avec la destruction accélérée de la planète ou, parallèlement, avec le manque d'enthousiasme général qui nous gagne ?
La nature, il en reste encore assez pour s'en mêler. Alors, découvrons le secret des vieilles cosmogonies et sollicitons nos auteurs un par un, les littérateurs et les visionnaires, la poignée de philosophes intéressés, puis les érudits de l'écologie si pleins de verdeur - afin de moissonner les recettes d'une attitude plus confortable.
Elles risquent de surprendre. Car, à force de cerner l'intelligence du monde, on va voir que c'est un mystère à double tranchant. »
On trouve sur les insectes d'excellents livres de vulgarisation agrémentés de planches en couleur ou d'étonnantes photographies. Dans ce domaine, les Coléoptères (les scarabées... sauf celui d'Edgar Poe), les Orthoptères (cf.
Les Libellules d'Alain Cugno), les Lépidoptères, (papillons - on se souvient des Morpho d'Eugène Le Moult) se taillent la part du lion. Depuis la mort d'Eugène Séguy, excellent aquarelliste, artiste à lavallière, laborantin avant de devenir directeur du laboratoire d'Entomologie du Muséum, on cherchera en vain une iconographie sur les Diptères en général, et on ne trouvera rien, absolument rien, en France sur les Tabanides, malgré le nombre, la taille, la beauté (ou l'horreur) qu'inspirent les taons.
Le présent Atlas - dû à l'exceptionnel talent d'illustrateur de Xavier Carteret - comble en partie cette lacune. S'il est loin d'être exhaustif, il se réfère pour chaque espèce à la description originale, éclaire les querelles des entomologistes qui aux prises avec les mouches à sang, ont débroussaillé la jungle de la nomenclature et, grâce aux clés dichotomiques, ouvre une chemin (illusoire ?) à une détermination précise des espèces.
Il arrive que de grands noms disparaissent complètement. Telle est la mésaventure (pas vraiment voulue) survenue à Jean de Bosschère, né en Belgique en 1878, fils de Charles de Bosschère, botaniste de réputation internationale, poète, romancier, peintre, illustrateur, rangé parmi les « planètes solitaires » dans le tome VI de La Poésie française du XX e siècle de Sabatier en compagnie de Segalen, Jouve, Supervielle, Milosz, Saint John Perse.
À Londres pendant la Première Guerre mondiale, il se lie avec Ezra Pound, Amy Lowell, T. S. Eliot, et, en 1920, rencontre Elisabeth d'Ennetières qui sera la compagne de sa vie. Deux ans plus tard, le couple s'installe à Due Santi, près de Rome, le pays du merle bleu, qui n'est pas du tout le symbolique oiseau de Maeterlinck, mais Monticola solitarius, un merle farouche et solitaire, un peu plus grand que le merle de roche, d'un bleu gris avec les ailes et la queue un peu plus plus sombres. C'est à Due Santi, où il se constitue une basse-cour, que Jean de Bosschère passe, avec Elisabeth, « celle qui donne la paix », les années les plus heureuses de sa vie. « C'est là que nous [le] voyons parcourir les villages aux environs de sa demeure italienne pour recruter les pensionnaires de sa basse-cour. Peu lui importait que les poules fussent communes, les pigeons bâtards, les canards estropiés, car il éprouva toujours, en même temps que le besoin d'adoucir le destin des bêtes, l'irrésistible besoin d'en posséder autour de lui », écrit dans sa préface Jacques Delamain (qui, chez Stock, dirige la collection où paraît Paons et autres merveilles).
Une basse-cour mais où il y a aussi, dans leur radicale étrangeté. des paons. Qui a le plus de talent? Celui qui décrit une poule, un canard, une pintade, ou celui qui décrit un paon ? On peut craindre que, sur le plan du talent, l'oiseau au somptueux plumage ne soit le (beau) perdant de ce petit jeu. Mais, pour un naturaliste, il ne s'agit pas de talent d'écriture R Artaud aura beau jeu de fustiger, les afféteries de Bosschère romancier « trop d'épithètes, de comparaisons, trop de fleurs » R mais de finesse d'observation. Sur ce plan, les gallinacées, tout comme les pigeons aux yeux rouges, ont leur mot R et plus encore R à dire. « On connaît la couleur de l'oeil de son chien, mais celle de l'iris de l'ours, de l'émeu, des lamas ? Et si on en connaît les nuances, s'est-t-on souvent arrêté avec surprise, et pendant de longues minutes, à étudier cette merveille inouïe qu'est l'oeil de certaines grenouilles, de certains oiseaux ? » Après l'Italie, le couple revient habiter Paris puis s'installe près de Fontainebleau avant de se prendre d'amour pour le Berry, sur l'invitation d'Aurore Sand, et de se retirer près de La Châtre.
Basse-cour, volière (il bat un chat qui a décapité l'un de ses oiseaux favoris), paons et pigeons, Bosschère continue d'alimenter sa veine naturaliste avec Palombes et colombes, La Fleur et son parfum (publié dans « De natura rerum » au printemps 2015), avec enfin Le Chant des haies qui paraît après sa mort, étonnants fragments d'une simplicité qu'on jurerait franciscaine.
En 1806 Humphry Repton (1752-1818) est au sommet de son art de « jardinier-paysagiste », terme qu'il a inventé et qu'il arbore fièrement sur sa carte de visite. Il a déjà publié plusieurs ouvrages luxueux sur le sujet, mais, toujours en quête de clients, il souhaite désormais en toucher un plus grand nombre dans un petit ouvrage non illustré résumant en quelque sorte ses idées. Héritier d'une déjà longue tradition du jardin anglais irrégulier1, inaugurée vers 1720, il se veut le successeur de Lancelot Brown, le plus fameux interprète de ce style. Mais il tient désormais à se distinguer de son inspirateur en adaptant sa manière à de nouvelles exigences des clients. Ceux-ci sont désormais plus mêlés socialement, n'appartenant pas seulement aux élites foncières mais aussi à une riche bourgeoisie d'affaires ayant acheté un domaine à la campagne, notamment dans les environs de Londres, où Repton a aménagé de très nombreuses propriétés. « L'utilité doit parfois primer sur la beauté et la commodité être préférée à l'effet pittoresque aux abords de demeures des hommes », écrit-il. Discours tout à fait nouveau qui risquait d'éloigner l'art des jardins des beaux-arts, comme le lui reprochèrent les connaisseurs de peinture Payne Knight et Price. En réalité Repton voulait refonder la notion de « jardin anglais », désormais célèbre dans toute l'Europe, mais sur des bases nouvelles. On peut estimer qu'il pensa l'aménagement paysager en termes de capital social plus que culturel. Il avait une vision holistique du jardin, estimant que ce dernier devrait être surtout adapté aux valeurs et aux modes de vie de ses utilisateurs. C'est dire que l'espace paysager n'était plus exclusivement traité en fonction du loisir aristocratique, comme au XVIIIe siècle, mais en fonction d'usages plus diversifiés.
Un des plus célèbres entomologistes du monde raconte, à 74 ans, ce que fut sa vie passionnée. Riche d'événements aventureux, de rencontres étonnantes, ce livre est aussi le témoignage émouvant d'un savant déçu par les hommes, et qui a trouvé, dans la recherche des plus belles et plus étranges bêtes du monde, le goût de vivre. Plus de 20 millions d'insectes et de papillons sont passés entre ses mains. La plupart, il les a choisis lui-même en France, en Afrique et surtout dans les forêts infestées de serpents à sonnettes de Guyane. C'est dans ce pays abandonné aux forçats et aux relégués qu'en 1903 est née son étrange vocation de chasseur de papillons qui lui valut la gloire et la fortune : le jour où il découvrit le moyen de capturer les admirables morphos bleus aux reflets métalliques. Avec lui nous découvrons ce qu'était alors la dure vie des nombreux pénitenciers. Nous voyons comment, grâce à la chasse aux papillons qu'entreprirent les forçats sous sa direction, la criminalité baissa au bagne dans des proportions considérables.
Il nous raconte également comment il créa la florissante industrie du « papillon collé » que l'on a attribué à tort aux Japonais : tableaux faits avec des ailes de papillons, services de toilette, réveils, plateaux décorés, comment il tourna lui-même, au début du siècle, les 36 premiers films documentaires scientifiques du monde. Dans sa vie faite de hauts et de bas, de luttes obstinées, mais aussi de grandes émotions, il a trouvé sa meilleure consolation dans son grand amour pour la plus belle bête du monde à ses yeux : le papillon.
« La source vive du génie de Hudson, était un feu intérieur d'émotions, et d'amour, et de colère, et de pitié, qui perçait sous le masque de l'observateur et étincelait dans ses yeux en réponse à la beauté, celle de la nature ou d'une femme, des oiseaux, ou des plantes, ou des arbres, ou des cieux, ou de leur mère la terre ». Edward Garnett « J'ai pensé qu'il ne serait pas inutile de donner à mes lecteurs quelques conseils ou quelques tuyaux sur la chasse aux vipères, sachant qu'ils sont nombreux à vouloir faire connaissance avec ce rare et insaisissable reptile. Ils désirent le connaître - à une distance respectable - à l'état de nature, dans son habitat, l'ont cherché, mais n'ont rien trouvé. Très fréquemment - une ou deux fois par semaine environ, en été - quelqu'un me demande d'être un guide en la matière. (.)Ce que nous cherchons c'est la vipère objet de culte, qui a généré la pierre sacrée des Druides, et cette vipère n'habite pas dans un bocal d'alcool, à l'ombre d'un musée où la température est égale. C'est une amoureuse du soleil que l'on doit chercher, après son sommeil hivernal, dans les endroits secs, incultes, surtout dans les garrigues, les coteaux pierreux, les landes et les prairies couvertes d'ajoncs. Avec un peu d'entraînement, le chasseur de vipères, reconnaît tout de suite un paysage vipérin. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'errer au hasard à la recherche d'un terrain de chasse convenable, car tous les endroits hantés par les vipères sont bien connus des gens du voisinage, qui ne sont que trop heureux de donner les informations nécessaires.
Il n'y a pas de défenseurs des vipères à la campagne, et, autant que je le sache, il y a eu qu'une seule personne en Angleterre pour protéger cette belle et inoffensive créature, la couleuvre à collier. Peut-on comprendre cette passion ? » Extrait de Conseils aux chasseurs de vipères.
Ce livre relate les vies exemplaires, les anecdotes et les recherches de quelques hommes - naturalistes, botanistes, généticiens, philosophes et explorateurs - qui ont révolutionné notre idée du monde végétal.
Cinq siècles de stupéfiantes découvertes botaniques. Charles Darwin et l'orchidée de Madagascar qui ne peut être pollinisée que par une seule espèce de papillon ; la théorie fondamentale du savant anglais sur la fécondation croisée et sur l'évolution des plantes ;
Federico Delpino qui a étudié la collaboration entre végétaux et fourmis ; les observations de Léonard de Vinci sur la disposition adoptée par les feuilles pour capter la lumière solaire ; la découverte de l'Amorphophallus titanum par Odoardo Beccari à Sumatra ;
L'histoire tragique de Nikolaj Ivanovi? Vavilov qui, en cherchant à sélectionner en laboratoire un super-blé capable de nourrir des millions de Russes, préservera la diversité des plantes mais mourra de faim dans une prison soviétique. Et encore, le génie de Marcello Malpighi ; l'invention de la génétique végétale par l'abbé Mendel;
La vie extraordinaire de George Washington Carver, premier Noir américain diplômé, et la ténacité de Charles Harrison Blackley cherchant la cause du rhume des foins.
« Jean de Bosschère unit à l'exaltation de l'amoureux la précision scientifique d'un fils de botaniste. Aussi loin qu'il descendit jadis dans l'obscurité tourmentée de son âme, il a pénétré dans les mystérieux replis des parfums, des formes et des cris. » Philippe Jacottet.
« Pensez-y bien, les sentiments drus, pressés, variés qui font naître mille souvenirs, se mélangent sans s'épouser. Tel et sans style le parfum parfois nous déborde après nous avoir jeté dans un trouble désordonné, indicible.
Ici je dois rappeler que j'ai déploré déjà l'impuissance d'expression qui s'avère quand nous abordons l'impossibilité de dire un parfum. La grandeur de la poésie en suspens devant cette pénurie de moyens de reproduction ou de ce défaut de nos facultés d'assimilation. Je ne pense pas à cette poésie morte qui traduisait en paroles des sites ou des gestes.
L'Aubépine, dira-t-on, approchée des narines, dégage une odeur de carabe doré, mêlée à de la poussière de guano remuée au soleil. Ceci est extrêmement fidèle et précis pour celui qui parle. Or, seules des contingences de hasard peuvent permettre à la deuxième personne d'imaginer, encore que sans précision, d'après ces quelques mots le parfum de l'Aubépine. »
Dans son grand et fameux Dictionnaire de la langue française (1863- 1872), Émile Littré avait compilé l'ensemble des locutions, dictons, proverbes, etc. ayant trait au rapport de l'homme à l'animal, expressions extraites de cet étrange « grand Bazar de la Charité verbale » qu'est la « sagesse populaire ». Heureuse définition issue de la plume de Jean-Paul Colin, auteur de cet ouvrage rassemblant, suivant l'ordre alphabétique, ce florilège de phrases oubliées qui éclairent, à leur façon, l'évolution du regard de l' « humain » sur la « bête », regard qui en dit largement autant sur les travers de l'homme que sur les comportements animaliers, à la manière symbolique de la fable anthropomorphique (Ésope, La Fontaine, Desnos...).
Le lecteur, en parcourant cette anthologie, sera certainement frappé par la singularité, voire l'étrangeté - Jean-Paul Colin parle à juste titre de « curiosités verbales » - de nombreuses expressions. Ainsi : « être blanc comme un cygne qui casse des noix » ; « cette femme commence à sentir des mouches » ; une « malbête » ; « laid comme un magot », ou le superbe « il faudra que la gueule du juge en pète »... Le sens (souvent impossible à deviner) de ces formules pittoresques nous est donné par Littré avec sa légendaire précision définitionnelle, et leur saveur illustrée par Valentin Besson, dont les croquis couleurs allient à la virtuosité du trait, une malice et un humour qui auraient certainement arraché un sourire bienveillant au visage d'Émile, « sérieux comme un âne qu'on étrille ».
« Le Naturaliste à La Plata, publié chez Stock en 1930, est, on le sait, l'un des plus beaux livres de Hudson.
Ce que l'on ne sait pas, c'est que, dans l'édition originale, figuraient son étude sur les bourdons (Humble bees and other matters), celle sur les guêpes (A noble wasp) et celle sur les araignées (Facts and Thoughts about spiders), Jacques Delamain, qui dirigeait alors la collection de Nature, n'ayant pas fait traduire ces textes. On peut se demander pourquoi, si ce n'est pour éviter d'effrayer le public.
Aimant le contre-point (ou le contre-chant) j'ai décidé de parler des rats, « ces intellectuels » selon l'expression de Marie Phisalix qui fut, au muséum, la première grande spécialiste des vipères : de la dégustation (arrosée de schnaps) d'un rat noir en compagnie d'un poète danois, de quelques rats (alpha ou bêta) égarés dans l'édition, bien entendu du Capitaine cruel cher à Freud, des scolopendres qui me fascinèrent longtemps et d'un musée pas le moins du monde imaginaire.
Les mouches étant aussi haïes que les serpents, les guêpes, les araignées ou les rats, suivent quelques considérations sur les grands diptéristes, à l'aurore de l'entomologie.
Dans sa correspondance avec André Dhôtel, Henri Thomas écrit : « C'est une engeance ténébreuse, les champignons, un peu comme les serpents, mais ceux-ci ont des yeux merveilleux (au moins les grandes couleuvres qui me regardaient dans le plus grand silence, en Corse.) » Venins est avant tout un regard.
Il faut, si l'on veut se faire une idée de la beauté, au moins une fois dans sa vie, regarder un taon dans les yeux. Si vous ne le voyez pas, lui vous voit. Je dirai même qu'il vous examine de près. Sous toutes les facettes dans chacune de ses facettes. C'est-à-dire qu'il vous voit quatre mille fois tel que vous êtes. Quel est à votre avis l'être le plus venimeux ? Lui ou vous ? » Patrick Reumaux
Figure fondatrice de l'histoire de l'art allemande, Carl Friedrich von Rumohr (1785-1843) est connu pour être l'auteur de l'Esprit de l'art culinaire, traité de gastronomie édité en 1822 à une époque où, contrairement à la France, la cuisine et l'alimentation ne suscitaient qu'un maigre intérêt dans les pays de langue allemande. Il faudra attendre 1826 pour que la littérature gastrosophique française voit paraître un ouvrage aussi ambitieux, Physiologie du goût de Brillat- Savarin. C'est dire l'originalité de Carl Friedrich von Rumohr, dont le traité est considéré outre-Rhin comme le grand classique de la littérature « gourmande ».
Publié sous le nom du cuisinier et serviteur de von Rumohr, Joseph König, le but de cet ouvrage est de lutter contre l'hégémonie de la cuisine française et de contribuer à l'émergence d'un art gastronomique véritablement national. Toutefois, l'Esprit de l'art culinaire va bien audelà d'un simple livre de recettes. Conçu comme un recueil de règles pratiques à l'usage de la cuisine quotidienne, il propose aussi une sociologie de l'art ménager et livre sous une forme scientifique, dans une langue claire et pédagogique non dénuée d'humour, les principes fondamentaux de la gastronomie moderne dont Carl Friedrich von Rumohr, ce « Clausewitz de la broche », selon la formule d'Ernst Jünger, apparaît aujourd'hui comme le précurseur.
Traduit pour la première fois en français, cet ouvrage nous dévoile un pan méconnu de l'histoire culturelle allemande du XIX e siècle.
Édition établie, annotée et présentée par Stéphanie de C ourtois, Marie-Ange Maillet et Eryck de Rubercy d'après une traduction anonyme de 1847 C onforté dans la passion qu'il portait à l'art des jardins par sa rencontre en 1810 à Weimar avec Goethe, le prince Hermann von Pückler-Muskau (1785-1871) grâce à ses lectures, ses visites de parcs dans toute l'Europe, mais surtout en Angleterre, et grâce aussi à son expérience, s'est formé une esthétique toute personnelle qu'il a consignée dans ses Aperçus sur l'art du jardin paysager publiés en 1834. C et ouvrage, composé d'un exposé théorique et d'une description pratique du parc de Muskau, fit de son auteur l'un des plus emblématiques représentants de cet art. Pendant trente ans, de 1815 à 1845, il sacrifia sa fortune dans les neuf cents hectares de son parc de Muskau, qu'une fois achevé il vendit pour se consacrer à l'aménagement d'un autre parc, à Branitz. Ainsi l'Allemagne possède-t-elle encore aujourd'hui, grâce à lui, deux des plus belles créations paysagères à l'anglaise, dont l'une, le parc de Muskau, est classée au patrimoine mondial de l'Unesco.
C onscient qu'il était des problèmes que posait la plantation d'un parc de style paysager, Pückler-Muskau a joué un rôle majeur dans l'histoire des jardins. De son vivant, ce « prince parcomane » a mis son expérience au service des princes C harles et Guillaume de Prusse (futur empereur), mais son autorité s'est également étendue jusqu'à l'étranger, et particulièrement en France où il conseilla en matière de jardins Louis-Philippe et Napoléon III. Les liens particuliers qui l'unissaient à ce pays expliquent en partie la parution, en 1847, d'une traduction française anonyme des Aperçus sur l'art du jardin paysager.
Tombée dans l'oubli, elle a pu être rééditée grâce à la découverte récente d'un exemplaire dans la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.
L'ouvrage, qui reproduit pour la première fois en France la totalité des 44 vues en couleurs et des 4 plans de l'album original, est à lire tout autant qu'à voir. Au texte annoté de Pückler-Muskau viennent s'ajouter une chronobiographie et une bibliographie, ainsi que trois textes rédigés par les éditeurs Stéphanie de C ourtois, Marie-Ange Maillet et Eryck de Rubercy, qui nous offrent une triple approche de ce passionné créateur de jardins.