Le rapport privilégié que la religion entretiendrait avec la violence est devenu l'un des poncifs du débat public. En proie au djihadisme et au radicalisme politique du christianisme évangélique, l'Afrique semble être un cas d'espèce. Mais cette pseudo-évidence soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. De quelle violence, de quelles religions, et même de quelle Afrique parle-t-on ? La guerre, en Afrique, a été politique, et non pas religieuse. Elle a eu pour objet le contrôle de l'état et des ressources, plutôt que celui des âmes, même si elle a pu emprunter, ici ou là, le langage de Dieu.
Le chassé-croisé de la violence et de la religion doit être analysé au cas par cas, à l'échelle des terroirs historiques. Aux antipodes des généralisations idéologiques apparaît alors un objet sociologique très circonscrit : des mouvements armés d'orientation religieuse qui participent d'obédiences diverses, aussi bien islamiques que chrétiennes, conduisent des insurrections sociales, mais occupent une place marginale dans les interactions entre Dieu et César. Au fil de cette réflexion, c'est toute l'histoire de l'état en Afrique qui apparaît sous un jour nouveau.
Comment expliquer la place centrale du religieux dans des sociétés sécularisées ? Cet ouvrage aborde cette question à partir d'une sociologie politique du religieux en prenant pour objet le regain de l'orthodoxie en Géorgie postsoviétique.
Silvia Serrano montre que la pertinence sociale de l'orthodoxie tient non pas à ses énoncés religieux propres et à une religiosité accrue, mais à ce qu'elle rend possible dans le champ politique. Elle est constitutive de deux types de dynamiques politiques : d'une part, elle est au coeur de la reformulation de l'identité nationale à l'oeuvre depuis l'indépendance de la Géorgie en 1991 et, d'autre part, en raison des investissements dont elle fait l'objet, elle produit des clivages éminemment politiques. Cet ouvrage dégage les logiques populistes par lesquelles le religieux réintroduit une dimension conflictuelle du politique.
En s'inscrivant dans des débats sur les dynamiques de sécularisation/ dé-sécularisation, sur la persistance du fait religieux et son rapport à la modernité, sur la politisation du religieux dans un contexte de libéralisation des systèmes politiques, ce livre fournit un cadre d'analyse novateur pour l'étude des relations entre religieux et politique dans le monde contemporain.
Comment devient-on sujet de Dieu dans une société considérée comme l'une des plus sécularisées du monde ? Comment rendre compte en termes anthropologiques du pouvoir qu'exerce le dieu du christianisme sur ceux qui déclarent y croire ? Cet ouvrage étudie les milieux pentecôtistes en Suède, pays rarement exploré par l'anthropologie internationale, et offre un contrepoint heuristique pour l'anthropologie du christianisme et les nombreux travaux menés dans les « pays du Sud ».
En Suède, les pentecôtistes engagent une conversation avec d'autres forces que celles qui sont si prégnantes en Afrique et en Amérique latine. Les variables économiques, sociales et politiques y sont bien différentes et les agents de la surnature des systèmes de croyances coutumiers en sont absents. C'est le « séculier », en tant que régime de subjectivation et figure imaginaire de l'altérité pour le croyant, qui devient le point de référence dans la construction des subjectivités chrétiennes.
Émir Mahieddin analyse ces techniques de subjectivation comme autant de manières de rendre Dieu présent au monde. Il montre comment ce dispositif de construction de soi et de transformation du monde, que les pentecôtistes appellent le « travail de Dieu », se renouvelle en permanence le long de la frontière instable et poreuse entre le religieux et le séculier.
Cet ouvrage traite d'un phénomène ancien dont l'acuité s'est accentuée avec le temps presque partout sur le continent africain : le phénomène religieux. Il influe les autres aspects de la vie sociale et de la culture, mais cette imprégnation diffère fortement selon les contextes et les régions du continent.
Cet ouvrage d'études comparatistes dans le bassin du lac Tchad, illustre combien le concept de « religions africaines », s'il fait sens, ne peut être décliné qu'uniquement au pluriel et relève d'une forte diversité. Cette région, en effet, constitue un carrefour de rencontres entre populations, civilisations et cultures venus d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale, du Sahel et de la savane, des montagnes et de la plaine riveraines, et à ce titre représente un véritable laboratoire des univers cognitifs et symboliques africains dans toute leur diversité.
Trois grands thèmes sont analysés en profondeur dans cette étude : la relation dialectique entre les changements sociaux et l'évolution des phénomènes religieux, les liens entre religion, pouvoir et territoire, et enfin l'idée de communitas qui met à jour le travail de la religion dans la cohésion sociale.
Cet ouvrage est indispensable pour la compréhension du phénomène religieux dans la région du bassin du lac Tchad et de son évolution à travers le temps, au moment où le « religieux » s'y exprime parfois de manière extrême et violente.
Jamais, peut-être, l'évidence de l'interaction entre la sphère de la religion et celle de la politique n'a été aussi grande en Afrique. « Peut-être », faut-il bien insister car, en la matière, les illusions d'optique de l'actualité et le prisme déformant des émotions ne sont pas bons conseillers. Il n'empêche que les événements sont là pour nous rappeler que dans cette partie du monde, comme ailleurs, chacun est pour soi, et Dieu décidément pour tous.
Comment démêler l'écheveau des interactions entre religion et politique en Afrique ? En s'inscrivant dans une perspective de sociologie historique et comparée, et en montrant que l'état, sur le continent, est une cité cultuelle, tout comme il le fut en Europe. Ce qui n'exclut nullement sa sécularisation, dans la mesure où l'autonomisation du politique par rapport à l'ordre de la foi est souvent née, paradoxalement, de la sphère religieuse elle-même.
Le délit de blasphème n'existe plus dans la plupart des démocraties européennes. Mais les usages du blasphème, comme instrument de dénonciation des insultes faites à la religion, restent fréquents. Ils s'accompagnent souvent de violences extrêmes. Ces dernières visent aussi bien des essayistes, des artistes, des romanciers, des cinéastes que des caricaturistes. Les auteurs de ces violences sont des « fondamentalistes de l'identité » qui rejettent un monde hyper-sécularisé pour mieux défendre leurs adeptes contre de réelles ou d'imaginaires « blessures » infligées au nom de la liberté d'expression. Or, cette liberté n'est jamais totale, même dans les pays les plus attachés à la libre concurrence des idées. Elle est toujours encadrée par le législateur et la justice, et les communautés de croyants sont en général mieux protégées que les croyances proprement dites. Dans les sociétés pluralistes, le débat politique est indissociable de l'énonciation d'idées qui « heurtent, choquent ou inquiètent ». La seule contrainte est l'atteinte à l'ordre public, toujours difficile à définir.
Les grandes affaires de blasphème sont traitées dans cet ouvrage pluridisciplinaire, qui réunit des historiens, des juristes et des sociologues du fait religieux : du procès du chevalier de La Barre aux caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo ; de la fatwa de Khomeiny contre Salman Rushdie à la saga des Pussy Riot ; de la Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese au Piss Christ de Serrano. « Se taire ou blasphémer ? », tel est l'enjeu central, en une époque de globalisation du religieux et de sécularisation du politique.
Depuis plusieurs décennies, des Églises charismatiques ou pentecôtistes issues de la migration africaine se sont multipliées dans les principales villes européennes. Ces organisations religieuses s'inscrivent dans des réseaux transnationaux qui jouent un rôle important dans les pratiques de mobilité de leurs membres. Ce livre propose une analyse croisée des dispositifs rituels et des logiques de mobilité dans les espaces pentecôtistes de la migration africaine en Suisse.
À partir d'une enquête multi-située de Genève à Accra, Jeanne Rey dévoile les jalons des trajectoires rituelles pentecôtistes et remonte les réseaux transnationaux pour en cerner les logiques circulatoires. Elle souligne la construction d'un rapport positif à la mobilité internationale entretenu par la pratique rituelle du combat spirituel, la transmission de l'onction ou les discours de la mission inversée. Elle analyse également les logiques concurrentielles entre les dirigeants religieux qui s'articulent autour de la construction de l'autorité et engendrent des réseaux asymétriques d'échanges et de mobilité.
Cet ouvrage offre une approche compréhensive et critique des logiques circulatoires et des enjeux d'un champ religieux à partir d'une ethnographie des dispositifs rituels, des systèmes d'échanges et de mobilités.
Dossier dirigé par Yann Raison du Cleuziou, avec la contribution de Valérie Assan, Christian Chanel, Frédéric Knerr, Sabine Rousseau , Jean-Michel Vasquez et María José Esteban Zuriaga.
Prêtres, imams, rabbins, pasteurs, bonzes ou religieuses, il ne manque pas de « clercs » qui ont franchi le pas de l'engagement politique. Quel que soit le continent, que ce soit du côté du conservatisme ou du progressisme, on peut en retrouver dans la plupart des grandes luttes sociales et politiques des xixe et xxe siècles.
Pourtant ces engagements sont rarement étudiés d'une manière comparative. C'est pourquoi l'Association française d'histoire religieuse contemporaine a décidé de consacrer une de ses journées d'étude à cette question. Travailler sur l'entrée en politique des clercs, autrement dit sur leur politisation, c'est ainsi prêter attention à un aspect de cet effort permanent pour définir les relations entre religion et politique.
Les clercs, parce qu'ils ont une autorité religieuse, contribuent à recomposer ces relations et à déplacer ces délimitations lorsqu'ils s'engagent. La manière dont ils investissent leur rôle est en effet inséparable de la manière dont ils articulent leur foi et leur rapport au monde. Au fil des contributions la politisation des clercs se révèle une porte d'entrée remarquable pour observer l'évolution des rapports de force politique, social et religieux au sein des institutions et des sociétés.
Varia.
Bons et mauvais prêtres au sortir de la Révolution. Une enquête sur le clergé franc-comtois en 1817-1821 (Vincent Petit).
Chroniques.
Entretien avec les directeurs du dictionnaire Le monde du catholicisme.
Dossier dirigé par Nacime Chellig avec la contribution de Boris Klein, Frédéric Perez, Haoues Seniguer, Pierre A. Vidal-Naquet et le témoignage de travailleurs sociaux.
Le travail social se trouve confronté depuis plusieurs années à l'affirmation revendiquée, entre autres parmi les jeunes musulmans, des appartenances religieuses. Ces derniers obligent à mettre en oeuvre la laïcité dans un contexte auquel les professionnels n'ont pas toujours été préparés.
Le dossier s'arrête d'abord sur le regard que notre société porte sur ces évolutions à travers le diagnostic de radicalisation dont il discute la pertinence et les effets. Puis il se place du côté de travailleurs sociaux et d'enseignants qui disent leur perception de ces manifestations du religieux, leurs réactions, leurs pratiques. Personnels investis dans la prévention, accompagnateurs de personnes chargées de l'aide à domicile, assistants sociaux, ils témoignent de leurs difficultés mais aussi de leurs initiatives. Par eux-mêmes et à travers leur collaboration avec des spécialistes en sciences humaines et sociales, ils montrent comment ces réalités nourrissent leur réflexion et font évoluer leur pratique.
Revendications d'identité de jeunes en voie de marginalisation, conversions où s'entremêlent révolte et volonté de combler un vide, comparaison entre les pratiques recommandées aux enseignants en France et à Berlin, brouillage de la frontière entre sphère publique et privée pour ceux qui accompagnent les familles : autant d'entrées pour prendre la mesure de la complexité des situations et inventer collectivement des réponses.
Varia.
Interdits alimentaires, religions, convivialité. Dis-moi ce que tu ne manges pas, je te dirai qui tu es ? (Claude Prudhomme).
Chroniques.
Un événement majeur : Les Assises des religions et de la laïcité.
Mesures d'interdiction des tenues regardées comme manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse sur les plages.
Au début des années 1960, en Amérique latine et en particulier au Brésil, le christianisme de la libération nous renvoie à une réalité de terrain, faite de luttes et d'initiatives contre les injustices et pour de meilleures conditions de vie pour les pauvres. Ce christianisme se présente comme un champ où la majorité des acteurs ne sont pas des théologiens. Les théologies de la libération viendront dans un second temps comme la théorisation d'engagements profonds pris au sein des Églises et du peuple chrétien.
Cette dynamique de la libération peut être décrite comme un courant large et diversifié du renouveau religieux, culturel et politique. Il est présent aussi bien dans les communautés ecclésiales de base, les paroisses, les associations de quartier, les ligues paysannes, les syndicats que dans les évêchés, les commissions pastorales, chez les prêtres, les ordres religieux et les mouvements laïcs.
Pour nous décrire ce christianisme, Camila Bessa a mis au centre de son ouvrage la personnalité de Charles Antoine, un prêtre français qui a travaillé au Brésil de 1964 à 1969. Rentré en France à la suite de menaces sur sa vie, il crée alors un bulletin d'information, DIAL, qui, durant trente ans, va faire un remarquable travail d'information sur l'Amérique latine. Les acteurs du christianisme de la libération traversent la plupart des numéros de DIAL.
L'un des intérêts de ce livre est aussi de nous restituer les traits d'une époque bouillonnante des relations Nord-Sud, en particulier entre la France et les pays d'Amérique latine vers lesquels partiront de nombreux prêtres, religieuses et laïcs appelés Fidei donum. Alors que les pays d'Europe entrent à ce moment-là dans une crise religieuse profonde, les expériences latino-américaines viendront enrichir les Européens, dans un mouvement Sud-Nord, et nourrir ce qu'on a appelé le tiers-mondisme chrétien. Un mouvement qui va ébranler les certitudes de l'Occident et militer pour la transformation des échanges internationaux. Pour l'auteur de ce livre, Charles Antoine a été à cette époque un « passeur transatlantique ».